TOUT EST DIT

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jeudi 27 janvier 2011

Agitateurs de tous les pays, méfiez-vous !

Europol, l’office européen de police, permet le fichage de toutes les personnes condamnées dans l’UE, mais aussi des simples suspects. Un mécanisme aisément détourné contre de nombreux mouvements contestataires. 

Le 4 octobre 2010, un drone de l’armée américaine lance un missile à la frontière pakistano-afghane. Au moins trois personnes, de jeunes hommes, sont tuées au cours de cette attaque. Cela n’a rien d’inhabituel dans la région. Parmi les victimes figure toutefois un Allemand. Voilà qui n’est pas habituel.
Bünyamin E., 20 ans, était soupçonné de suivre un entraînement dans un camp terroriste. Le parquet de Düsseldorf enquêta sur lui. Après sa mort toutefois, personne n’enquêta sur ceux qui l’avaient tué, ni sur les soldats américains qui commandaient le drone à distance, ni sur leurs supérieurs.

L'armée américaine a exécuté un Allemand sans procès

Les autorités allemandes ont du mal à engager des poursuites lorsque des alliés dans la guerre contre le terrorisme exécutent des citoyens allemands ou les enlèvent, comme dans le cas de l’islamiste de Hambourg, Mohammed Zammer, à l’automne 2001. En revanche, elles n’hésitent pas à communiquer des données personnelles aux organes de sécurité d’autres pays, même si les suspects n’ont aucun casier judiciaire.
Le cas de Bünyamin E. montre ce qui peut se passer dans les cas extrêmes lorsque des services étrangers exploitent les informations concernant des terroristes présumés : l’armée américaine a jugé que Bünyamin était un terroriste et l’a exécuté sans autre forme de procès.
A l’avenir, les services de sécurité étrangers pourraient s’en prendre encore plus souvent à des ressortissants d’autres Etats sans passer par la voie des tribunaux. Le Conseil de l’UE plaide en effet pour la mise en place d’un programme d’échange de données bien plus vaste que l’actuel système de coopération entre pays membres.
La création de l’agence de police communautaire (Europol), le 1er janvier 2010, a donné lieu à l’ouverture d’un grand centre d’analyse à La Haye. C’est là que sont exploitées les données personnelles de citoyens de l’UE et de là qu’elles sont ensuite transmises à des pays membres d’Europol et de pays tiers.
Il est explicitement prévu qu’Europol ne reçoive pas seulement des informations concernant des personnes condamnées mais également les données de toute personne jugée suspecte par n’importe quel service de sécurité.
A l’heure où le crime s’organise à l’échelle mondiale, on pourrait se dire que ce n’est pas une mauvaise idée. Mais il se trouve que depuis quelques années les agences de sécurité nationale s’échangent essentiellement des informations sur les agitateurs politiques. Les dernières révélations concernant l’histoire de taupes infiltrées dans les milieux protestataires britanniques et allemands ne sont qu’un aperçu du système d’échange d’information entre pays européens.

Tous les agitateurs fichés

En Europe, tous ceux qui prônent la désobéissance civile peuvent manifestement se dire qu’ils sont surveillés par des services de police étrangers, surtout s’ils se déplacent pour participer à des manifestations dans d’autres pays. Ceux qui bloquent les voies ferrées pour manifester contre le nucléaire, s’en prennent aux fermes pratiquant l’élevage en batterie ou bloquent les autoroutes pour protester contre les frais d’inscription à l’université, tous ceux-là pourraient se retrouver dans la base de données Igast de la police criminelle allemande.
L’Igast (International agierende gewaltbereite Störer) rassemble toutes les données possibles sur les "agitateurs potentiellement violents et actifs au plan international". Leurs moyens de communication et leur appartenance à différents groupes présentent donc un intérêt particulier. C’est ce que souligne le Conseil de l’UE dans un mémo.
Le vieux débat au sein du gouvernement de coalition allemand à propos de la conservation des données se comprend mieux à la lumière de la stratégie d’Europol. A l’avenir, il serait par exemple possible, et nettement moins coûteux, de "protéger" une grande réunion de l’Otan contre toute perturbation. Rien qu’en utilisant les moyens de communication électroniques, il est possible de savoir comment les manifestants arriveront, qui seront les meneurs et avec qui ils sont en contact.

"Celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à craindre."

La police judiciaire de Wiesbaden a déjà plusieurs fois transmis à d’autres pays des informations concernant des manifestants allemands. De même la police allemande a-t-elle certainement donné des informations aux services américains à propos de Bünyamin E. Dans le premier cas, les manifestants allemands ont probablement été refoulés à la frontière mais, dans le second, un homme est mort.
Le mantra des autorités policières est toujours le même : "Celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à craindre." Dans ce contexte, cela semble absurde. Le principe fondamental de la présomption d’innocence est balayé lorsque l’on établit à titre préventif le profil et les réseaux de chaque individu et que la police juge ces informations suffisantes pour appliquer une sanction.
S’il y a un sens à la collaboration des services de police des différents Etats entre eux, ils ne doivent pas criminaliser les actions politiques et sanctionner leurs auteurs sans le jugement d’un tribunal indépendant.

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