TOUT EST DIT

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jeudi 27 janvier 2011

Ports français : les raisons du blocage

Pour la énième fois et comme le week-end dernier, les ports français seront paralysés de vendredi à lundi prochain par une grève à l'appel de la Fédération nationale des ports et docks (FNPD), le tout-puissant syndicat des dockers et des grutiers affilié à la CGT.

Faisant suite à une série de mouvements sociaux ayant lourdement pénalisé le trafic portuaire à l'automne dernier, en particulier à Marseille, et se cristallisant en apparence sur le même motif -la reconnaissance de la pénibilité du travail des ouvriers portuaires -, ce nouveau conflit a, en fait, peu à voir avec les grèves d'octobre. Il est bien plus massif, comme en témoigne l'entrée en grève des dockers et grutiers du port de Dunkerque, qui n'avait jamais cessé le travail depuis... dix-huit ans. Et il risque de s'inscrire dans la durée tant, pour l'heure, on n'entrevoit pas d'issue.

Principal grief invoqué par le syndicat : le nouveau gouvernement Fillon ne respecte pas les engagements pris avant le remaniement. Est ainsi remise en cause la validation, début novembre, par Jean-François Carenco, alors directeur de cabinet du ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo, d'un projet d'accord entre les organisations syndicales et patronales conclu le 27 octobre dernier et permettant aux quelque 5.000 à 6.000 ouvriers portuaires de partir en retraite jusqu'à quatre ans avant l'âge légal, eu égard à la pénibilité de leurs métiers.

Pourquoi ce changement de pied ? Pour des raisons financières d'abord. Selon une des hypothèses de travail, le projet d'accord, qui permettait d'en finir avec l'interminable réforme portuaire et les grèves qui l'ont accompagnée, coûterait 60 millions d'euros à l'Etat, via les grands ports maritimes dont il est propriétaire, et ne serait pas financé au-delà de 2030. Mais l'autre raison du revirement gouvernemental, c'est qu'il s'inscrirait en contradiction avec la réforme des retraites.

Les pouvoirs publics ont donc appelé les partenaires sociaux à revoir leur copie : ils leur demandent de limiter à deux ans au maximum l'anticipation sur l'âge légal de la retraite pour les salariés exerçant un métier à la pénibilité avérée. Et insistent plus globalement pour que le futur accord soit cohérent avec la loi sur les retraites. Arguments de bon sens, sans doute, mais qui risquent de remettre en cause plusieurs années de négociations englobant un champ bien plus vaste que la seule pénibilité.

Pour comprendre l'enjeu, il faut revenir à l'architecture de la loi du 4 juillet 2008 « portant réforme portuaire ». Seize ans après la réforme de 1992, qui visait à faire des dockers des salariés comme les autres en les intégrant dans les entreprises de manutention, la nouvelle loi recentrait les grands ports maritimes sur leurs missions régaliennes (sûreté, environnement, stratégie...) et organisait le transfert aux manutentionnaires des activités d'outillage ; en clair, un grutier, jusqu'à présent salarié du port, allait rejoindre dans la même entreprise son homologue docker. Assurant, peu ou prou, les mêmes tâches -charger et décharger un navire à quai -, ces professions seraient ainsi unifiées sous l'égide d'une seule autorité, l'entreprise manutentionnaire. Avec à la clef une meilleure organisation du travail et plus de productivité.

Restait à mettre en oeuvre le transfert effectif des grutiers. Pour ce faire, le législateur avait ouvert un espace favorisant le dialogue entre partenaires sociaux. Certes, l'article 12 de la loi de juillet 2008 laissait envisager le transfert autoritaire des personnels concernés, mais il s'agissait d'un article repoussoir engageant les partenaires sociaux à lui préférer l'article 11. Celui-ci prévoyait plutôt une mutation concertée, sous réserve d'un accord-cadre devant être signé dans les trois mois par les partenaires sociaux.

Ce qui fut fait le 30 octobre 2008. L'accord en question a donné lieu à un décret, le 28 novembre 2008. Dans la foulée, et conformément à des dispositions explicites de l'accord-cadre, débutèrent alors deux négociations : l'une visant à rédiger une convention collective commune aux dockers et aux grutiers (elle a été conclue le 7 mai 2010 et est depuis ouverte à la signature) ; l'autre sur la pénibilité.

Ce second volet des négociations, les partenaires sociaux l'ont abordé sur la base des textes alors en vigueur, à savoir la loi Fillon sur les retraites de 2003. Et c'est sur cette base qu'ils se sont mis d'accord fin octobre 2010. Juste avant, donc, la promulgation de la nouvelle loi sur les retraites... Scénario ubuesque, qui ne pouvait conduire qu'à une impasse, quand on connaît le caractère explosif du dossier.

Prises de court, les organisations patronales elles-mêmes ne savent plus sur quel pied danser.

La FNPD-CGT, elle, hurle à la « trahison » et menace désormais de ne pas signer la convention collective unifiée tant qu'il n'y aura pas d'accord sur la pénibilité. Ce qui reviendrait à torpiller plus de deux ans de négociations alors que la très grande majorité des points de la réforme avaient été entérinés.

Comment sortir de cet imbroglio ? Le gouvernement pourrait bien sûr être tenté de réactiver l'article 12 de la loi de juillet 2008 autorisant les transferts de façon autoritaire. Sauf que, l'article privilégiant l'approche consensuelle ayant été validé par un décret, c'est ce dernier qui s'applique. Il faudrait donc trouver une astuce, et vite, car les grands ports maritimes doivent avoir, conformément à la loi, transféré leurs grutiers au secteur privé en avril prochain au plus tard. Et socialement, un éventuel passage en force doit être mûrement réfléchi : il risquerait de radicaliser la FNPD, dont une minorité des adhérents a toujours été opposée à l'approche réformiste jusqu'à présent défendue par ses dirigeants.

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