mardi 25 janvier 2011
La vengeance des électeurs
Pour l'instant, ils n'ont rien dit. Les électeurs ont encaissé le choc de la plus grave crise financière depuis près d'un siècle sans renverser leurs gouvernements. Mais ils vont désormais commencer à décaisser de l'argent pour payer la facture. Nous entrons dans une ère d'incertitude politique radicale.
A vrai dire, les électeurs ont déjà commencé à s'exprimer l'an dernier, là où ils ont eu l'occasion de voter. Au Royaume-Uni, les travaillistes ont perdu le pouvoir au printemps. En France, l'UMP au pouvoir a conservé la présidence d'une seule région métropolitaine, l'Alsace, lors des régionales. Aux Etats-Unis, les Américains ont dépêché à la Chambre des représentants une escouade de « tea parties » qui feraient passer Ronald Reagan pour un dangereux colbertiste. Et en Allemagne, il a fallu attendre que le scrutin soit passé en Rhénanie-du-Nord-Westphalie pour mobiliser enfin les milliards d'euros nécessaires au sauvetage de la Grèce.
Mais il ne s'agissait là que de signes avant-coureurs. Car jusqu'à présent, le coût de la crise a surtout pesé sur les finances publiques, avec des déficits qui ont explosé en 2009-2010. Ce n'était évidemment pas tenable -la dette publique va dépasser une année de production (100 % du PIB) dans les pays développés en 2011. Les gouvernants commencent donc à présenter la facture, avec des hausses de TVA, des gels de salaires dans la fonction publique et d'autres mesures tout aussi amères. En conséquence, les électeurs s'approprient un slogan des milieux « alter » vieux de deux ans : « Nous ne paierons pas vos crises ». En Irlande, durement frappée par la crise, l'opposition travailliste mène campagne pour les élections législatives de mars sur un programme simple : pas question de passer à la caisse pour tout rembourser ! Il faut restructurer la dette, il faut que l'Europe et le FMI diminuent le taux de leurs prêts. On n'ose imaginer, en France, le score que ferait l'an prochain une Le Pen ou un Mélenchon s'ils parvenaient à articuler un programme autour de ce genre d'idées. Arnaud Montebourg, qui est loin d'être le plus sot des socialistes, commence déjà à expliquer qu'il faut faire « payer les banques ». En oubliant un peu vite que les banquiers français ont été beaucoup plus prudents que leurs collègues américains, suisses, britanniques, espagnols ou allemands.
Face à cette tentation, les bien-pensants vont naturellement expliquer que ce n'est pas possible. Que tout a été fait au mieux dans la crise. Que beaucoup d'électeurs ont profité auparavant du boom du crédit et de la vague de croissance qui l'a accompagné, ce qui n'est pas faux. Mais le reste n'est pas forcément vrai. Au plus fort de l'incendie, à l'automne 2008, il fallait agir vite. La finance mondiale risquait de s'effondrer, et l'effondrement aurait été une catastrophe, y compris pour les plus pauvres. Dans le sauvetage, les gouvernants des grands pays ont arrosé le système avec des milliers de milliards d'euros ou de dollars. Et ils l'ont fait en concertation avec les financiers, qui étaient certes les incendiaires, mais aussi les plus à même de piloter leur action -dans les flammes, les pompiers sont plus efficaces s'ils ont à leurs côtés quelqu'un qui connaît la maison en feu. Dans l'urgence, il n'était pas possible de consulter les élus. Fin septembre 2008, les représentants américains ont été vilipendés sur toute la planète pour avoir refusé dans un premier temps un plan de 700 milliards de dollars (un montant inventé et non calculé, comme l'a reconnu ensuite l'un des acteurs clefs de l'opération).
Le problème, c'est que ces fortunes engagées dans l'urgence n'étaient pas neutres. Elles ont profité aux uns plus qu'aux autres. On en donnera juste deux exemples. D'abord, le retour des bonus délirants constitue une indication parmi d'autres que la finance n'a sans doute pas payé toute sa part (à moins que les nouvelles réglementations changent radicalement la donne dans les années à venir, ce qui reste à prouver). Ensuite, les gouvernants irlandais ont fait un choix limpide : sauver l'épargnant, et ils font payer ce sauvetage au contribuable. Les transferts portent sur des montants colossaux. L'électeur a parfaitement le droit de remettre ces choix en cause. Il y a là débat politique, au sens le plus noble du terme. Faut-il le rappeler ? Le contrôle de la dépense publique par le peuple, via ses élus au Parlement, constitue l'origine de la démocratie représentative.
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