On se souvient de la "stratégie de Lisbonne" lancée en 2000, qui avait pour objectif de faire de l’Union européenne "l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010". Elle se donnait des objectifs en matière d’innovation, de "cohésion sociale" et d’emploi. A peu près aucun n’a été atteint, bien que les taux d’emploi se soient rapprochés des 70% (de la population âgée de 20 à 64 ans) espérés. Mais les dépenses en recherche et développement ont faiblement augmenté et restent loin de la cible de 3% du PIB. Quant à la cohésion sociale, il suffit de remarquer que le risque de pauvreté (après transferts sociaux) a augmenté.
Ce bilan médiocre n’a pas empêché la Commission d’attribuer à la stratégie de Lisbonne la création de 18 millions d’emplois dans l’Union européenne. Ce chiffre ne mesurait cependant que l’augmentation de l’emploi en Europe entre 2000 et 2008. Créditer la stratégie de Lisbonne de l’ensemble de cette augmentation était donc un peu héroïque. Au passage, la moitié de ces créations correspondait à des emplois à temps partiel.
Un programme de réformes structurelles néothatchériennes
Le plus comique dans cette histoire est que la stratégie de Lisbonne avait été inspirée par des universitaires majoritairement classés "à gauche" et initialement mise en œuvre par des gouvernements supposés "de gauche". Mais l’affaire était tellement mal conçue dès le départ que cela avait été un jeu d’enfant pour la commission Barroso de récupérer le mouvement et de transformer une affaire gentiment social-démocrate tendance technologies de l’information en un programme de réformes structurelles néothatchériennes.Ceci dit, la stratégie de Lisbonne à elle seule n’a eu qu’un faible impact sur les réformes structurelles menées dans les différents pays, ces dernières résultant de compromis politiques principalement nationaux. Mais elle a quand même joué un rôle de ressource politique et idéologique à disposition des acteurs nationaux.
La suite de l’histoire s’appelle "Europe 2020", "une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive". D’ici 10 ans, tout en Europe est supposé être "intelligent" : la croissance et l’économie bien sûr, mais aussi la réglementation, la spécialisation, les maisons, les réseaux, la gestion du trafic… Tout est supposé être durable aussi : l’économie, la croissance…
Pour le reste, peu de surprises : l’objectif de taux d’emploi passe à 75%, une politique industrielle visant à améliorer l’"environnement des entreprises", une réglementation "intelligente", forcément, qui doit diminuer le "fardeau administratif pesant sur les entreprises", l’approfondissement du marché unique notamment grâce à la directive "services" (née directive Bolkestein) et plus généralement la réaffirmation que la concurrence (comprendre : déréglementation, privatisations, démantèlement des services publics) favorise la croissance et l’innovation, ce qui reste douteux.
"Europe 2020" vient d’un document du lobby patronal européen
Bref, que du connu. Comme l’a montré le Corporate Europe Observatory, l’inspiration d’Europe 2020 vient en partie d’un document produit par le lobby patronal européen : "ERT’s Vision for a competitive Europe in 2025".Ce qui est un peu nouveau concerne la gouvernance de la chose et doit se comprendre en lien avec une innovation récente dans ce domaine, le semestre européen, qui fait passer un examen aux budgets nationaux devant la Commission et le Conseil avant adoption par les parlements nationaux. La "discipline budgétaire" et les réformes structurelles sont ainsi réunies dans une "gouvernance plus forte": "L’assainissement budgétaire et la viabilité financière à long terme devront aller de pair avec d’importantes réformes structurelles, notamment dans les domaines des retraites, des soins de santé et des systèmes de protection sociale et d’éducation" (Europe 2020, page 28).
Sur le plan des réformes structurelles, rien de véritablement contraignant ne peut être mis en œuvre, mais de nouvelles ressources politiques sont mises à disposition des acteurs nationaux souhaitant suivre la voie néolibérale et il vaudra mieux avoir des finances publiques "saines" si on souhaite préserver son système de protection sociale.
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