C'est un de ces livres merveilleusement inépuisables que l'on aimerait emporter sur une île, ou mieux encore, tout au long d'un périple. Un livre qui en contient une infinité d'autres. Une anthologie qui réunit 101 poètes, appartenant à 24 pays. Elle est conçue - l'idée est magnifique - comme un voyage autour de la Méditerranée. De la Grèce à la Turquie, du Proche-Orient au Maroc, on parvient à un massif imposant et plus familier - la péninsule ibérique, la France et l'Italie - avant de retourner à l'est, vers les rives tourmentées des pays slaves du sud.
La poésie est née tôt, en Méditerranée, rappelle Yves Bonnefoy dans sa belle préface. Et presque aussitôt elle y a parlé haut et fort. C'est elle qui, en Mésopotamie, dans la geste de Gilgamesh, cherche à donner aux princes et aux guerriers une conscience morale, une expérience métaphysique, elle qui fonde le monde grec, elle qui, à Athènes, chez les Tragiques, entreprend cet échange avec la raison qui doit se poursuivre aujourd'hui encore." Une "tâche de vigilance" confiée par Virgile à Dante, poursuivie par Cervantès, Leopardi, Cavafy, Seféris, Darwich.
L'alliance de la mer et des rivages a toujours fait de la Méditerranée un espace profondément humain, un creuset de rencontres et d'échanges, où s'impose l'importance de la parole. "Parler avec tout de suite à côté de soi la langue des autres, celle-ci serait-elle dite "barbare", écrit Yves Bonnefoy, c'est en effet percevoir la différence de notions qui s'attachent en divers lieux à des choses pourtant les mêmes."
La proximité de la "langue des autres" : voilà ce qui rend passionnante cette anthologie polyglotte éditée par Eglal Errera - avec l'aide de nombreux traducteurs, éditeurs, découvreurs. Le texte original figure toujours en regard de la traduction française, dans chacune des 17 langues représentées, en 5 alphabets. Un exploit typographique - qui rend sensible au regard le rythme des poèmes du syrien Adonis, de l'Israélien Eliraz, ou des deux poètes chypriotes, l'un grec et l'autre turc. Un poème de l'italien Zanzotto s'intitule "Xénoglossies".
Voyages choisis, éloignements imposés : beaucoup de déplacements impriment au recueil ce que le Portugais Nuno Judice appelle "la respiration de l'exil". Parmi les Français, Andrée Chedid, née en Egypte, et Lorand Gaspar, en Roumanie, ont éprouvé très tôt "l'entre-deux" des langues. Francophone, la Libanaise Vénus Khoury-Ghata a traduit Aragon en arabe et Adonis en français. Beaucoup de ces poètes se rencontrent, se lisent, se traduisent. Ainsi Yves Bonnefoy, traducteur de Keats et de Leopardi, est lui-même traduit par le Grec Thanassis Hatzopoulos, le Monténégrin Slobodan Jovalekic et le Libanais Issa Makhlouf.
"Ô mer, tu es la mort et la vie tout ensemble", écrit Dara Sekulic, née en Bosnie-Herzégovine. Si le recueil s'achève sous le "ciel cendreux" du Macédonien Vlada Urosevic, les poèmes dessinent souvent, selon l'expression du Grec Stratis Pascalis, une "cartographie de la lumière", du Pirée à Tanger. En couverture du livre, l'éblouissant soleil sicilien d'un tableau, La Plage à Agrigente : il fallait, selon Eglal Errera, rendre à ces rives "leur lumière inégalable dont Nicolas de Staël, né à Saint-Pétersbourg et mort à Antibes, écrivait à René Char que "l'on ne la voit pas parce qu'elle est la lumière même"".
jeudi 6 janvier 2011
"Les Poètes de la Méditerranée. Anthologie" : la découverte de "la langue des autres"
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