vendredi 7 janvier 2011
Inquiétude sur la dette des ménages italiens
En apparence, l'Italie a relativement bien résisté à la conjoncture économique dégradée de ces deux dernières années. Quelques jours avant Noël, la banque centrale du pays, gouvernée par Mario Draghi, a fait savoir que les ménages avaient à peu près réussi à préserver leur patrimoine au premier semestre 2010. Mieux : pendant la grave récession de 2009, ils se sont enrichis de 93 milliards d'euros, soit une progression supérieure à 1 %. Admirable, quand on sait qu'en France les familles parvenaient tout juste à sauver les meubles, avec une progression de 0,2 %. Comme chez nous, les produits financiers ont généré un rendement supérieur à la pierre, avec le recul des prix de l'immobilier. Aujourd'hui, le patrimoine des ménages italiens équivaut à 8,2 années de revenu net disponible, contre 7,3 en France et 4,8 aux Etats-Unis. On comprend que dans ces conditions, Rome se frotte les mains d'appartenir « à la partie la plus riche du monde » et de figurer « parmi les dix premiers pays en termes de richesse par tête » : les familles transalpines détiennent 5,7 % du patrimoine privé de la planète, alors que la richesse produite par leur pays ne pèse que 3 % du PIB mondial et la population seulement 1 % de l'humanité.
A y regarder de plus près, la réalité n'est pas aussi rose. En valeur absolue d'abord, le patrimoine des ménages atteint 8.600 milliards d'euros quand en France, à nombre d'habitants équivalent, il représente 9.300 milliards d'euros. Ensuite, cette richesse demeure extrêmement concentrée, à l'image du patrimoine du président du Conseil, Silvio Berlusconi, soixante-quatorzième fortune mondiale avec 9 milliards d'euros, numéro trois en Italie derrière l'inventeur du Nutella, Michele Ferrero (17 milliards) et le fondateur de Luxottica, Leonardo Del Vecchio (10,5 milliards). Les 10 % des ménages les plus riches concentrent à eux seuls 45 % de la richesse nationale, tandis que la moitié la plus pauvre de la population de la péninsule n'en possède qu'à peine 10 %. Quant à la proportion de ceux qui croulent sous les dettes - la Banque d'Italie parle de « richesse nette négative » -, elle n'a pas cessé de croître au cours des dix dernières années, pour frapper désormais plus de 3 % des gens. Des écarts « incommensurables » qui font penser « aux pays pauvres dotés de régimes autoritaires, où un petit nombre s'approprie le plus gros des ressources », dénonçait récemment le quotidien d'opposition « La Repubblica ». C'est parfois vrai au sein d'une même entreprise : chez Fiat, où Sergio Marchionne est de plus en plus impopulaire, l'ouvrier en bas de l'échelle salariale gagne quatre cents fois moins que le patron. Il y a quinze jours, l'Institut national de la statistique (Istat) a complété ce diagnostic en indiquant que, entre 2005 et 2009, la proportion d'Italiens vivant en état de « pauvreté absolue » est passée de 4 % à 4,7 %. Le taux est supérieur à 9 % dans les familles comptant plus de cinq membres et il est particulièrement élevé dans la tranche des 35 à 44 ans, ainsi qu'au-delà de 65 ans.
Si le phénomène de concentration des richesses existe aussi en France, il se double, en Italie, d'inégalités très fortes d'une région à l'autre. En clair, les écarts entre riches et pauvres sont encore plus criants à Naples qu'à Milan, à Palerme qu'à Venise, à Bari qu'à Turin. Cela n'existe nulle part ailleurs dans les pays développés, souligne la Banque d'Italie. En outre, l'ascenseur social ne fonctionne que pour une minorité. Ici, plus que dans les pays voisins, la destinée des jeunes dépend la plupart du temps des ressources de la génération précédente, rendant les inégalités en quelque sorte héréditaires. Une réalité à mettre en parallèle, évidemment, avec la montée inexorable du chômage. L'Istat a récemment sonné l'alarme à ce sujet. Non seulement la part de la population active actuellement sans emploi a encore grimpé en octobre, à 8,7 %, un score qui n'avait pas été atteint depuis janvier 2004. Mais en plus, les jeunes en ont été une nouvelle fois les premières victimes. Chez les 15-24 ans, le taux de chômage approche maintenant les 25 %, avec des pointes locales à 36 %. Dramatique, quand on sait que l'Italie ne comptabilise ni les salariés en chômage technique ni ceux qui ont renoncé à pointer à l'assurance-chômage. Chez les moins de 35 ans, on compte 2,25 millions de « ni-ni », des jeunes qui ont abandonné toute idée d'étudier ou de travailler, ajoute le centre de recherche Censis dans son rapport annuel sur la situation sociale du pays. Un document qui montre qu'en Europe, l'Italie présente, avec Malte et la Hongrie, le plus bas taux d'emploi de la population en âge de travailler (57,5 %, contre 64,2 % en France).
Ceci expliquant peut-être cela, l'endettement des ménages s'envole. Entre septembre 2008, date de déclenchement de la crise, et septembre 2010, celui-ci a enregistré un bond de 29 %, calcule le Centre d'études de l'artisanat et des PME de Mestre (CGIA). Les foyers italiens, qui étaient jusqu'alors très peu exposés, ont dorénavant sur le dos 19.500 euros de dette en moyenne. C'est un très mauvais signe. Et sans aucun doute, au-delà de l'atonie persistante de la croissance, le sujet de préoccupation majeur du gouvernement pour cette année. Car c'était jusqu'à présent le grand dada de Giulio Tremonti que de masquer le poids astronomique de la dette publique en y agrégeant la dette privée, faisant de l'Italie l'un des meilleurs élèves d'Europe avec un taux global de 236 % du PIB, contre 238 % en France ou 295 % au Royaume-Uni. En 2011, les marchés en demanderont davantage pour être rassurés.
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