TOUT EST DIT

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vendredi 7 janvier 2011

Henri Guaino : «Sur l'euro, Séguin avait tout anticipé, tout prévu»

Un an après la mort de Philippe Séguin, Henri Guaino analyse dans 'Les Echos' l'héritage laissé par l'ancien ténor du RPR. Et loue le «volontarisme» de Nicolas Sarkozy, dont il est le conseiller spécial à l'Elysée.

  Pourquoi n'avez-vous pas accepté de participer au colloque en hommage à Philippe Séguin qu'organisent vendredi les proches de François Fillon ?
Je me réjouis que l'on célèbre la mémoire de Philippe Séguin. Je le fais moi-même à chaque fois que j‘en ai l'occasion parce qu'il incarnait quelque chose auquel je crois profondément et que je voudrais voir rester vivant à travers son souvenir. Je me rendrai encore mercredi prochain à l'invitation de l'Université d'Aix pour lui rendre hommage.

On va dire de vous que vous ne reconnaissez pas en François Fillon un héritier de Philippe Séguin...

J'ai assisté hier à l'inauguration par François Fillon de la Galerie Philippe Séguin à la Cour des comptes et j'ai toujours trouvé ridicules les querelles pour savoir qui détient un morceau de la vraie croix.

Que reste-t-il aujourd'hui du séguinisme ?

Le séguinisme c'est comme le gaullisme, ce n'est ni une doctrine, ni une idéologie, encore moins une religion. C'est une attitude, une façon d'être et de penser en politique. C'est une histoire personnelle qui a pour moi, et je crois au fond pour beaucoup de Français, une profonde signification intellectuelle, morale et politique.

Une attitude par rapport à l'Etat, notamment ?

A l'Etat, à la Nation, à l'Histoire... Philippe Séguin avait deux références essentielles : le général de Gaulle et la République. Ce qui était au fond, pour lui, la même chose. L'idéal républicain, il ne le portait pas seulement dans sa pensée, dans ses discours, il l'incarnait aussi dans son parcours. Le père mort à la guerre, la mère institutrice qui l'élève seule, la France d'autant plus aimée qu'elle est lointaine et idéalisée, le sentiment qui persistera sa vie durant d'être un «petit chose» projeté dans un univers qui n'est pas le sien, «l'orgueil du pauvre» qui n'est pas un ressentiment mais la dignité particulière, tellement républicaine, de celui qui n'ayant rien, qui n'étant rien, n'a dû qu'à son mérite d'être devenu quelqu'un. Un parcours à la Camus avec le soleil de Tunis à la place de celui d'Alger. Une intransigeance gaullienne qui fait les caractères difficiles mais les grands statures morales et humaines.

Ces valeurs sont-elles si menacées qu'il faille les célébrer par des anniversaires ?

Nous vivons une époque de profond désarroi qui nourrit un besoin grandissant de cette République que Philippe Séguin incarnait avec autant de force. L'émotion suscitée par sa mort est à la hauteur de ce désarroi.

N'est-ce pas aussi un constat d'échec sur le quinquennat ?

Ce problème n'est pas de l'ordre d'un quinquennat, ni du ressort d'un seul pays. Tous les pays développés, et pas seulement la France, sont plongés dans une crise profonde, intellectuelle, morale, identitaire, sociétale, à laquelle la politique ordinaire, concentrée sur la conjoncture et la gestion, ne peut pas répondre. Philippe Séguin l'avait pressenti avant beaucoup d'autres et le président de la République a eu raison de parler de «politiques de civilisation». Nous avons construit, collectivement, depuis trente ans, un système intenable. Quand on place, par exemple, l'appât du gain au-dessus de tout, cela crée immanquablement un problème de civilisation. Quand on bâtit un monde où le taux d'actualisation est de l'ordre de 15 à 20%, cela signifie que l'avenir n'a plus aucune valeur et qu'il y a chaque jour dans le monde des milliards de décisions individuelles qui sont prises sur l'idée que l'avenir n'a plus de valeur. C'est forcément destructeur. Comme est destructrice une mondialisation où chacun cherche à se développer au détriment des autres, ce qui n'est pas une fatalité mais le fruit des choix politiques et idéologiques des dernières décennies que la crise nous oblige à remettre en cause.

Le pouvoir politique n'a plus le pouvoir d'inverser les choses ?

Ce n'est pas la bonne façon de se poser la question. Le politique, c'est l'expression de la volonté collective opposée à tous les déterminismes, hier la nature, aujourd'hui les marchés ou la technique, qui menacent d'asservir l'Homme. C'est le fondement même de l'idée de civilisation. Cela a été l'aventure de la modernité depuis le XVIe siècle. Or, que vivons nous depuis trente ans ? Un formidable retour en arrière, avec l'idée que la nature des choses est plus forte que la volonté humaine, et que l'on ne peut plus rien, sur rien. La formule employée jadis par Lionel Jospin, «L'Etat ne peut pas tout», est révélatrice de cette défaillance morale. Il aurait mieux valu dire : «Je ne veux pas intervenir, voilà pourquoi, et je l'assume». La différence entre les deux formules, c'est la responsabilité politique qui, dans un cas est revendiquée et assumée, et dans l'autre, niée. Aujourd'hui, que se passe-t-il ? La demande des citoyens s'accroît, car moins la politique répond, plus la demande est forte. Le mal profond, ce n'est pas l'individualisme, mais le sentiment insupportable qu'ont les gens d'être seuls au monde car tout seuls, ils ne peuvent rien. Mais si le collectif -national ou européen -proclame son impuissance à les protéger et à leur rendre la maîtrise de leur destin, alors ils iront chercher leur protection dans la communauté étroite, le clan, la tribu. La République selon Séguin, c'est un non au renoncement comme lorsqu'il dénonçait le «Munich social». La politique peut toujours quelque chose. Pour le meilleur ou pour le pire. Mais si l'on abandonne cette conviction comme on l'a fait pendant trente ans, on est sûr du pire.

Y a-t-il des porteurs de ce message aujourd'hui ?

C'est tout le sens de mon engagement auprès de Nicolas Sarkozy. Si je l'ai suivi, c'est parce qu'il voulait incarner le volontarisme politique. Cela ne veut pas dire qu'il suffit de vouloir pour réussir, mais l'on ne peut pas réussir si l'on ne veut jamais rien. Et au bout du compte, c'est ce qu'il a fait. Dans la crise, il a fait preuve d'un volontarisme exceptionnel par rapport aux autres chefs d'Etat, et il les a entraînés. Evidemment, cela n'a pas effacé la crise. Mais elle aurait été bien plus dramatique si la France n'avait pas remis de la politique en Europe, si elle n'avait pas suscité la création du G20. Cette crise est l'expression d'une inversion des valeurs, d'une perception erronée des performances de nos sociétés et de nos économies. Regardez le fameux «modèle» irlandais, dont on voit aujourd'hui qu'il n'était qu'une escroquerie intellectuelle.

Les polémiques autour de l'euro donnent-elles a posteriori raison à Philippe Séguin ?

Tout était dans le «discours pour la France» que Philippe Séguin [qui s'était opposé à la monnaie unique, NDLR] a prononcé à l'Assemblée au moment de Maastricht. Il avait tout anticipé, tout prévu, et notamment qu'une fois que ce serait fait, il serait impossible de revenir en arrière. Sortir de l'euro aurait un coût colossal. Nous devons maintenant gérer au mieux les conséquences du choix de la monnaie unique. Il est clair que nous ne pourrons pas avoir une solidarité budgétaire européenne suffisante pour compenser la disparition des ajustements monétaires entre les pays membres. L'euro n'est donc viable qu'à une condition : que chacun y mette du sien et soit convaincu de la nécessité de tout faire pour diverger le moins possible des autres. C'est ce que plaide la France.

Le Séguin de la Cour des comptes, c'est celui de l'orthodoxie budgétaire. Faut-il faire de la lutte contre les déficits une priorité ?

Séguin faisait son travail de premier président de la Cour des comptes. Elle est collégiale et il en était le porte-parole. Qu'il faille rechercher l'équilibre financier est une évidence. Il faut à la fois rationaliser la machine administrative, les interventions publiques, mais aussi soigner tout ce qui, dans la société, produit de façon endogène de la dépense publique. C'est dans les réformes structurelles et la préparation de l'avenir que se trouve en réalité la clef du rétablissement de nos équilibres. La réforme des retraites et même -paradoxalement -le grand emprunt sont parmi les contributions les plus importantes à l'assainissement de nos finances publiques. Pour retrouver l'équilibre il faut retrouver l'expansion, mais une société malade sur le plan des valeurs, des repères, du rapport à l'avenir, au temps, ne peut pas être une société en expansion. Le capitalisme, l'économie, c'est d'abord une question de valeurs. Le rôle de l'entrepreneur, du créateur, la place du travail, c'est une question de valeurs.

Mais n'est-ce pas les marchés financiers qui décident aujourd'hui, davantage que le politique ?

Cette idée est la formulation contemporaine du renoncement. Elle pointe un problème majeur. Aucune société, aucune économie n'est durablement possible sous la contrainte du rapport que les marchés entretiennent avec le temps, et comment peut-on confier au hasard la conduite des sociétés humaines ? Car les marchés financiers, lorsqu'ils fonctionnent bien, avancent au hasard. Un marché financier, ce n'est pas un centre d'analyse économique. Ce sont des traders qui veulent gagner de l'argent en achetant ou en vendant avant les autres. Keynes avait trouvé la formule exacte quand il disait que les Bourses fonctionnaient comme des concours de beauté où celui qui gagne n'est pas celui qui découvre qu'elle est la candidate la plus belle mais celle que la majorité désigne comme la plus belle. Sortir de cette dictature absurde, c'est tout l'enjeu de la régulation mondiale et du G20. C'est un enjeu de civilisation.

Faut-il faire de la fin des 35 heures un thème majeur de la prochaine présidentielle ?

Le travail reste un thème majeur et il y a toujours un débat autour du malthusianisme qui nous a coûté si cher dans le passé, une ligne de partage entre ceux qui veulent partager la rareté et ceux qui croient à l'expansion.

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