Ce matin, Alger a peur. Peur de ce vendredi ou l’on prie pour que le jour de la prière ne soit pas celui de la violence. Presque vingt ans après avoir connu les débuts confus de la terreur obscurantiste, l’Algérie s’interroge à nouveau sur la colère de la rue, bien décidée à éviter une récupération par les islamistes radicaux.
Cette crainte cohabite avec un irrépressible élan pour la liberté. On ne sait trop, de ce côté-ci de la Méditerranée, s’il faudra se réjouir de l’énergie des pays du Maghreb pour bousculer des modèles politiques à bout de souffle, ou s’il faudra s’inquiéter de la déstabilisation qu’un mouvement de masse pourrait entraîner.
En dépit de toutes les frustrations qu’elles peuvent éprouver, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc partagent cette même chance : elles sont jeunes, avec des moins de 25 ans qui représentent jusqu’à 60 % de la population. Elles partagent un même appétit pour se développer, élever leur niveau de vie, s’ouvrir au monde du III e millénaire. C’est même au nom de cette attente que leurs jeunesses manifestent, ivres d’une déception fondamentale devant un avenir qui, à leurs yeux, n’est pas parti pour tenir ses promesses. Ils voudraient être légers, et ils ne le peuvent pas. Doublement corsetés qu’ils sont par la crise économique et les interdits de toutes sortes.
Expert en langue de bois dictatoriale, Ben Ali n’a pas tout à fait tort, paradoxalement, quand il voit dans la télévision la responsable du désordre. Maudites paraboles, hein ? Ce sont elles, et notamment celles permettant de recevoir des chaînes françaises, qui, en effet, susciteraient l’impression de manque et le goût de révolte.
La grande vanité des régimes autoritaires, c’est de croire qu’ils peuvent tout contrôler. Ils sont complètement dépassés par ce mouvement qui n’emprunte aucun des codes idéologiques habituels. Cette fois, pour une génération dont les parents n’ont pas connu la guerre d’indépendance, c’est l’absence de perspectives qui est ressentie comme une oppression dans des sociétés cadenassées. Le chômage, la non-reconnaissance, voire l’abandon tacite de la jeunesse, ce sont autant de mines prêtes à exploser aujourd’hui. La crise entretient l’amertume à l’égard d’une France chiche, désormais, pour accorder des visas à tous ces jeunes diplômés avides d’une expérience dans l’Hexagone, salutaire comme un ballon d’oxygène.
L’Europe ne peut rester indifférente à ce soulèvement inédit. Elle est trop proche de cette Afrique du Nord bouillonnante pour simplement fermer ses oreilles, ses yeux… et ses portes. Pour ne rien voir ou ne rien entendre. Ce malaise profond, bien différent d’une fièvre éruptive, la regarde directement. Si elle ne veut pas contribuer à faire le lit d’Al-Qaida sur un matelas de rancœur, la France doit plus que jamais regarder vers ce sud compliqué. Aussi périlleux que prometteur.
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