TOUT EST DIT

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mercredi 1 décembre 2010

Sarkozy-DSK : l'arme du temps


Comme pour les grandes batailles, les affrontements présidentiels se préparent longtemps à l'avance. Les stratèges comptent leurs troupes, anticipent et repèrent leurs terrains d'affrontement. Dix-sept mois avant la présidentielle de 2012, les acteurs du combat n'ont rien dit de leurs intentions réelles mais commencent à définir leurs positions et le champ du combat. Les deux candidats aujourd'hui imposés par les sondages, Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn - et par ricochet Martine Aubry qui, elle, contrairement à Ségolène Royal, s'inscrit toujours dans son calendrier -, viennent chacun de dégainer leur première arme : celle du temps. Avec plus ou moins de bonheur.


Après avoir envisagé une « pause » dans son action, le chef de l'Etat a finalement décidé d'accélérer le tempo et de continuer à « réformer jusqu'au bout ». DSK fourbit la même arme, mais à front renversé : il choisit au contraire de suspendre le temps, de n'entrer que très tard dans la course nationale, en se consacrant d'ici là exclusivement à sa mission à la tête du FMI.


Dans les deux cas, ce choix stratégique est la résultante de contingences particulières. Très mal en point dans les sondages, Nicolas Sarkozy a vu l'effet désastreux que produirait dans son électorat un frein dans les réformes, « sa véritable marque de fabrique », selon un proche. Agir lui a permis d'être élu en 2007 ; agir lui permettra d'opposer un bilan conséquent en 2012, espère-t-il désormais, même si cela suppose que la conjoncture économique se soit redressée d'ici là. Dominique Strauss-Kahn entend, lui, maintenir le plus longtemps possible cette alchimie personnelle qui en fait le chouchou des sondages : à l'inverse du « loin des yeux loin du coeur » amoureux, il sait que l'opinion plébiscite les personnalités lointaines et qu'il a tout intérêt à cultiver sa stature internationale au moment où ses adversaires socialistes s'abîment dans les chicaneries internes. Le tout répond qui plus est à une « fatigue » des Français vis-à-vis de « l'hystérisation excessive du pouvoir » à l'oeuvre depuis 2007, théorise l'intellectuel Gilles Finchelstein, l'un des plus proches conseillers de DSK. Il s'apprête d'ailleurs à publier un essai contre « la dictature de l'urgence », qu'il faudra bien sûr lire comme une défense de la posture sans précédent retenue par le directeur général du FMI.


Car le choix de ces deux candidats possibles à la présidentielle apparaît comme totalement contraire aux « lois » non écrites de la politique. Le candidat sortant fait peu de mystères de sa volonté de solliciter un nouveau mandat - ne vient-il pas de mettre en place un « gouvernement de combat », selon les termes de ses proches ? En se fixant pour ambition d'ouvrir des chantiers majeurs dans la dernière année de son mandat, il a toutes les chances d'apparaître comme un président en campagne permanente, au moment où tous ses prédécesseurs se retiraient sur l'Aventin pour ne ressortir que dans les quelques semaines précédant le scrutin. DSK fait, lui, le choix d'une campagne courte - et pour cela entretient l'ambiguïté sur ses intentions -quand les candidats d'opposition prenaient le temps, dans le passé, de labourer le terrain et d'inscrire leur candidature dans les esprits. « Il est à la fois dans l'opposition et en responsabilité, ce qui lui donne la chance extraordinaire de pouvoir faire l'impasse sur une campagne longue », relève Jean-Pierre Raffarin.


Le tout n'est pas sans avantages pour l'un comme pour l'autre. En refusant de se « mettre en retrait », selon l'expression consacrée, Nicolas Sarkozy renvoie à DSK son absence de l'Hexagone, que ce dernier pourrait payer cher au moment où il promettra aux Français de résoudre leurs problèmes. DSK, au contraire, risque d'apparaître pour longtemps encore une cible mouvante contre laquelle le chef de l'Etat aura du mal à se défendre. « Lorsqu'on connaitra le candidat socialiste, ce sera plus facile pour nous : nous serons enfin comparés à quelqu'un », reconnaît Franck Louvrier, le conseiller en communication de Nicolas Sarkozy.


Mais pour tous deux, ce positionnement est très risqué. Il l'est dans l'immédiat pour Dominique Strauss-Kahn, qui risque de faire penser qu'il n'a pas « envie », et dont le choix, surtout, place le Parti socialiste dans une position intenable. Ségolène Royal l'a bien senti, comme toujours lorsqu'il s'agit d'exploiter une faille. Elle a décidé de rompre le pacte tacite qui la liait à DSK et Martine Aubry en annonçant lundi soir sa candidature aux primaires. Quel projet construire si le candidat du PS n'est pas connu ? Comment tirer parti des difficultés de Nicolas Sarkozy ? Comment construire une alternative en interne si DSK décidait de ne pas se présenter, comment organiser les primaires, comment motiver les militants ? Depuis la rentrée déjà, le PS ne parvenait plus à répondre à cet afflux de questions : les sondages de ces derniers jours donnant Dominique Strauss-Kahn l'emportant largement au second tour de la présidentielle (et même désormais devançant Nicolas Sarkozy au premier tour) ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Avec, désormais, une question majeure pour le patron du FMI (et partant pour Martine Aubry) : comment éviter que cette arme du temps, puissante contre Nicolas Sarkozy, finisse par se révéler mortelle pour le Parti socialiste lui-même ?


Le président de la République vient par contrecoup de marquer un point dans sa bataille à distance avec son dangereux compétiteur socialiste. Mais son choix tactique ne l'exempte pas de pièges à venir. Ses deux réformes programmées, la fiscalité et la dépendance, s'annoncent d'autant plus explosives qu'elles devront se faire à somme nulle. Et qu'elles touchent à des tabous - l'ISF pour la première, l'assurance privée pour la seconde -dont la gauche, déjà électrisée par la réforme des retraites, ne manquera pas de se saisir. Si, faute de marge de manoeuvre, Nicolas Sarkozy choisissait in fine de repousser l'un ou l'autre de ces chantiers à l'après-présidentielle, au nom de la nécessité d' « approfondir le débat », le tribut politique risquerait d'être très lourd lui aussi. Serait alors réveillée cette suspicion, sous-jacente dans l'électorat de droite, d'un président qui dit davantage qu'il ne fait.

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