TOUT EST DIT

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mercredi 1 décembre 2010

Le rituel des catalogues de Noël


Pas moyen d'échapper à une page où tout est blanc, depuis l'iPod jusqu'aux bottines, en passant par le crâne presse-papier et la lampe d'ambiance. Sur une autre, tout est rouge, la montre, le sac et le grille-pain avec la radio. A la suivante -surprise ! -rien que des objets dorés. Plus loin -mais où vont-ils donc chercher tant d'idées ? -les mêmes babioles, à peu près, sont argentées. Pour finir, la page où tout est noir, des bottines à l'iPod, l'iPhone ou l'iPad. Ce rituel immuable, on nous le ressert à l'identique tous les ans. Parfois, soyons honnêtes, il y a des cadeaux bleu, orange, pailletés, fluo. Prix moyen : au moins 1.000 euros. Des pointes à 20.000 ou 30.000, des envolées bien au-delà, et quelques sélections à moins de 10 euros, par exotisme.
A quoi tout cela sert-il ? Pas simple à comprendre. Ces innombrables suppléments, catalogues et cahiers spéciaux submergent le lecteur quand vient l'hiver. Ils n'ont pas réellement pour fonction de diminuer l'angoisse du consommateur au moment du Père Noël. Au contraire, ils contribueraient plutôt à intensifier le stress des cadeaux à choisir. Car, dans ces représentations glacées, on ne trouve pas la moindre idée. Alors, quel est leur rôle ? Augmenter les recettes publicitaires ? C'est une évidence, mais aussi une explication insuffisante. Car le même objectif pourrait être atteint de mille autres façons, plus réalistes et moins luxueuses. Le problème, c'est le style : la froideur figée de l'objet irréel, l'inutile assez laid, le rêve en vitrine, à l'approche du solstice d'hiver.
Il s'agit de consommer des images, du virtuel, des mondes possibles. Les achats semblent secondaires. La représentation suffit -distante, éthérée, formatée. Elle suscite le désir et le dissout. On rêve soudain de produits dont on n'avait pas la moindre idée quelques minutes avant. L'image fait miroiter un plaisir neuf -inattendu et rare, comme détaché du monde -aussitôt remplacé par un autre, indéfiniment. Ces catalogues sont des territoires qu'on ne fait que frôler, des surfaces sans profondeur où le regard glisse. On pourrait croire qu'ils incarnent ce que Gilles Lipovetsky a nommé, dès 1983, « L'Ere du vide ». Mais le philosophe diagnostiquait encore, au sein de l'hyperconsommation, un semblant d'humour, un sens de la parodie et de l'hédonisme ludique. Voilà qui semble avoir tout à fait disparu des suppléments cadeaux, désespérément sérieux et prévisibles. Les lutins sont au chômage, le Père Noël n'est pas là pour rire.
Il est bien loin, décidément, le temps où, avec la bénédiction de l'Eglise, on brûlait l'effigie du Père Noël sur le parvis de la cathédrale. Comme à Dijon, le 24 décembre 1951. Devant quelques centaines d'enfants des patronages, l'homme en rouge, accusé de paganiser la fête, fut pendu aux grilles et réduit en cendres. Claude Lévi-Strauss a consacré à cette histoire une étude passionnante, « Le Père Noël supplicié ». Il y établissait comment le Père Noël prolongeait encore, au siècle dernier, l'antique roi des Saturnales et son héritage préchrétien : gui, cadeaux et fastueux emballages étaient déjà des affaires romaines. Rien de nouveau sous le sapin ! « Reste à savoir, concluait Lévi-Strauss avec quelque malice, si l'homme moderne ne peut pas défendre lui aussi ses droits d'être païen. »
Ce qui est nouveau, c'est le mortel ennui de ce monde imaginaire où tout semble déréalisé. Ces pages cadeaux n'évoquent pas plus les fêtes antiques que les difficultés de l'heure. N'y scintille qu'un univers sans pauvres et sans contraintes budgétaires, où nul n'entend plus parler de l'Irlande, du Portugal, de la zone euro et de la misère des gens. Chandelier blanc, bottes fluo, casque noir et mules argentées, il faut parfois avoir le courage de s'en défaire. Histoire de retrouver, un beau matin d'hiver, immaculée comme champ de neige à l'aube… quoi donc ? Une page où, vraiment, tout serait blanc.

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