TOUT EST DIT

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lundi 22 novembre 2010

Un optimisme de combat


C'est bien connu, en France, nous sommes portés à nous dénigrer nous-mêmes. « Les Français se méprisent eux-mêmes », notait, il y a trente ans, l'écrivain Maria-Antonietta Machiocchi. Les choses n'ont guère changé. Ce trait révèle moins de la modestie qu'une réelle difficulté à estimer justement notre situation et nos capacités à relever les défis. Est-ce de l'idéalisme ou la marque d'un infantilisme qui susciterait une perpétuelle insatisfaction ? Difficile de dire. Le fait est que l'air du « tout va mal » revient comme une complainte.


Là, vous provoquez, dira-t-on. Oubliez-vous la gravité des temps actuels ?


Au contraire. C'est justement l'ampleur inédite des problèmes qui empêche de gémir sur tout. Car, ainsi, on confond la situation des personnes qui ont de vraies raisons de se plaindre de leur sort et celle des groupes, les plus nombreux, qui sont, eux, totalement ou relativement épargnés ? Si chacun s'érige en victime, sous quelque prétexte que ce soit, que deviennent les vraies victimes : les jeunes piétinant à la porte de l'emploi, les sans-emploi ou menacés de le perdre, les 12 millions de travailleurs pauvres et les mal-portants dont l'avenir risque de se clore... ? Si l'on mélange les catégories et les problèmes, on ne prêtera pas attention aux cas justifiant une mobilisation. À propos des retraites, par exemple, si la protestation avait porté exclusivement sur la pénibilité et non sur les 60 ans pour tous, elle eût été beaucoup plus efficace. Car c'était bien cela le vrai problème, tout de même !


Alors, faut-il adopter la devise du bon docteur Coué - « Tous les jours et à tout propos, tout va de mieux en mieux » - ou se convaincre que « tout va très bien, madame la marquise » ?


On a dit de l'optimiste que c'est quelqu'un qui manque d'informations. Il est aussi vrai que le pessimiste en sait trop jusqu'à s'en accabler. Et à force de s'obnubiler des problèmes, à commencer par les siens, il est du genre à regarder des deux côtés avant de traverser une rue à sens unique. Bref, la prudence désabusée finit en paralysie. L'optimiste de méthode, lui, n'est pas un bisounours. Le tragique ne lui échappe pas. Mais il en relève le défi en se disant, avec Péguy, que « ça ira mieux demain, demain matin », à condition de s'y mettre.


Ce qui suppose de faire la part des choses, de voir aussi ce qui marche et apporte de l'air frais, et de savoir relativiser nos problèmes par empathie (1), altruisme (2) et tout simplement décence. Satisfait ? Non. Inquiet ? Oui, mais de cette vraie inquiétude qui faisait dire à Newman : « Quand je suis heureux, je commence à être inquiet. » Et a fortiori lorsque les « conditions du bonheur » ne suffisent plus. Selon une enquête publiée en 2008, le revenu réel par habitant a triplé aux États-Unis depuis 1950, mais le pourcentage des personnes se disant heureuses a à peine augmenté. Au-delà de 15 000 dollars de revenu annuel, le taux de satisfaction n'augmente plus, voire régresse.


Talleyrand a dit que Chateaubriand, depuis qu'il n'entendait plus parler de lui, pensait être devenu sourd. Cette surdité n'est-elle pas aussi la nôtre ?



(1) Serge Tisseron, L'empathie au coeur du jeu social, Albin Michel.


(2) Philippe Kourilsky, Le temps de l'altruisme, Odile Jacob.

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