TOUT EST DIT

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lundi 22 novembre 2010

La Russie impuissante face au cancer de la corruption


Corruption, détournement de fonds, racket, arrestation illégale, voire meurtre. Les crimes commis en Russie, en toute impunité, par des fonctionnaires mafieux qui semblent phagocyter l'Etat chaque jour davantage pourraient ne préoccuper que la population et les seuls entrepreneurs, locaux ou étrangers, menacés de voir confisquer à tout moment le fruit de leur travail. Mais la criminalisation d'un Etat bureaucratique et policier devenu le prédateur de sa propre nation peut affecter aussi ses relations avec des pays occidentaux pourtant enclins à une certaine indulgence envers le principal exportateur mondial d'hydrocarbures. Ainsi, Barack Obama, qui tenait à appuyer sur le bouton « remise à zéro » des relations avec Moscou, endommagées par la période Bush, doit tenir compte d'une démarche inhabituelle : Ben Cardin, un sénateur démocrate, vice-président de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), demande que pas moins de 60 officiels russes impliqués dans la mort en prison d'un juriste de trente-sept ans, Sergueï Magnitski, soient interdits de visa aux Etats-Unis. Première mondiale dont la Russie se serait bien passée : un documentaire sur cette affaire a été projeté simultanément devant les Parlements européen, britannique, allemand, canadien et américain (mais pas en France, pourtant prompte d'habitude à s'inquiéter des violations des droits de l'homme). Et, entre deux discussions sur le traité START de désarmement nucléaire, la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, a même demandé à Dimitri Medvedev de faire toute la lumière sur l'affaire.


Rappel des faits. Ce défenseur d'Hermitage Fund, le premier fonds d'investissement occidental à avoir misé sur la Russie, est décédé il y a exactement un an en prison, où il avait été jeté en novembre 2008 et privé de soins et de visites depuis lors, malgré un cancer. Son crime ? Avoir témoigné peu auparavant contre des juges, fonctionnaires du fisc et officiers du ministère de l'Intérieur dirigés par un colonel, Artyom Kuznetsov, liés sans doute au département K (renseignement économique) du FSB. Il les accusait d'avoir soutiré 230 millions de dollars au fisc russe via un montage complexe (« Les Echos » du 7 août 2008) à grand renfort de registres d'actionnaires falsifiés, d'actions en justice lancées par des détenteurs de passeports volés et de documents, sceaux et ordinateurs dérobés lors de perquisitions illégales au siège russe d'Hermitage. On n'est jamais mieux servi que par soi-même : l'enquête lancée suite aux dépositions de Sergueï Magnitski avait été confiée… aux policiers mis en cause, lesquels s'étaient empressés d'arrêter leur accusateur.


Apparemment, le président russe, Dimitri Medvedev, est conscient du problème que représente la criminalité des « hommes à épaulettes », « principale menace pour la Sécurité nationale », lui qui reconnaissait candidement il y a un an que « des officiels corrompus mènent le pays. Ce sont eux qui ont le vrai pouvoir. La corruption est de nature systémique, avec de profondes racines historiques ».


Lors de son entrée en fonctions, en mai 2008, le président, qui est un juriste de formation, avait présenté un programme limpide visant à lutter contre la corruption, faire « respecter véritablement la loi et surmonter le nihilisme juridique qui entrave gravement le développement du pays ». Si le dynamisme de la Russie, où sont lancés régulièrement de nouveaux chantiers, est indéniable, toutefois le courage commence à manquer chez les entrepreneurs devant les atteintes au droit de propriété. Les flux d'investissements étrangers ont chuté l'an dernier au quart du niveau atteint avant la crise mondiale, à 15,9 milliards de dollars, un niveau décevant pour la 10 e économie de la planète.


Aujourd'hui, l'engagement de Dimitri Medvedev contre le « nihilisme légal » sonne de plus en plus creux. Il ne peut se targuer que de la mise en place d'un Conseil national anticorruption et d'un projet de loi obligeant les proches des hauts fonctionnaires à divulguer leur patrimoine (projet d'ailleurs retoqué par le ministère des Finances). Les enquêtes d'opinion confirment une aggravation de la corruption dans ce pays où tout, contravention, diplôme ou permis de construire, se monnaie. La Russie figure désormais au 154 e rang sur 178 dans l'index de Transparency International, au même niveau que la PapouasieNouvelle-Guinée ou le Kenya. Elle a reculé de 8 places en un an.


Ceux qui dénoncent la corruption risquent leur vie : 6 journalistes ont ainsi été tués depuis le début de l'année et aucun de leurs meurtriers n'a été retrouvé. Le dernier tabassage en date visait un collaborateur du quotidien économique « Kommersant », Oleg Kachine, au demeurant courtois avec le régime mais « coupable » d'avoir enquêté sur un chantier controversé d'autoroute. Le fait qu'il ait été attaqué devant des caméras de surveillance à dix minutes à pied du Kremlin révèle le sentiment d'impunité de ses agresseurs, voire sonne comme un défi à Dimitri Medvedev.


La question qui se pose désormais aux Russes comme à leurs partenaires étrangers est de savoir simplement si ce pays peut se doter d'un Etat de droit. On peut en outre se demander si le président russe n'est pas finalement qu'un leurre, chargé de conserver la place au chaud pour Vladimir Poutine jusqu'à l'élection présidentielle dans dix-huit mois. Un indice ? Suite à l'affaire Magnitski, après avoir limogé quelques responsables… des services pénitentiaires, Dimitri Medvedev a ordonné une enquête, qui n'a abouti à rien. La veille de l'anniversaire de la mort du juriste, cinq des principales personnes qu'il accusait ont été promues par le ministère de l'Intérieur pour services exceptionnels…

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