TOUT EST DIT

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lundi 14 février 2011

"Mon petit déjeuner avec..." Rama Yade

C'est à la célèbrissime brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain à Paris, que je retrouve Rama Yade, désormais ambassadrice de France auprès de l'Unesco.

Comment faut-il vous appeler ? Excellence ? Madame l’ambassadrice ?
RAMA YADE Comme vous voulez. Je ne me formalise absolument pas. Je trouve ça vaniteux, et ça ne change rien à la vie.
F.-S. Jusqu’à l’âge de 11 ans vous avez vécu à Dakar dans un cocon…
R. Y. J’étais une petite fille très heureuse qui vivait entre la plage, l’école catholique et une très grande famille. Ma mère était professeur de lettres et mon père secrétaire général du président Senghor. J’étais une élève sérieuse et disciplinée qu’on faisait beaucoup travailler. Mes parents étaient très exigeants. Il fallait faire toujours mieux. L’Océan faisait partie de mon quotidien. Tous les matins, avant d’aller à l’école, avec d’autres enfants, nous nous précipitions pour accueillir les pirogues qui nous donnaient des petits poissons que nous cuisinions sur la plage ! Notre maison était ouverte. J’ai baigné dans une chaleur humaine et une tendresse infinie.
F.-S. Avez-vous vécu votre arrivée en France comme une cassure ?
R. Y. Le départ de Dakar s’est fait en juillet 1987. Mon père était diplomate et voyageait tout le temps. Quand on m’a parlé d’un départ en France, j’étais heureuse mais je pensais que ce serait juste temporaire et qu’on reviendrait à la rentrée scolaire… Je n’y suis revenue que quinze ans plus tard.
F.-S.Et la vie à Colombes ?
R. Y. Au début, nous étions expatriés et nous vivions dans une résidence sympathique. Mais, après la retraite de mon père, nous avons basculé dans le statut d’immigrés… Ce n’était plus pareil. Ma mère était au chômage car ses diplômes n’étaient pas reconnus en France. Nous avons eu des impayés. Les huissiers venaient… Jusqu’à l’expulsion. Ensuite, ce fut la cité à Colombes où ma famille vit toujours. Ma mère nous a réunies, mes trois sœurs et moi, pour nous dire : « Nous n’avons pas vocation à vivre ainsi. L’objectif, c’est d’en sortir. »
F.-S. Pour vous, ce fut l’école comme salut ?
R. Y. Oui, l’ascension sociale passait nécessairement par l’école. En sixième, je m’étais fixé comme objectif de lire toute la série des Rougon-Macquart, d’Emile Zola, que j’empruntais à la bibliothèque municipale.
F.-S. Et la politique, comment est-elle entrée dans votre vie ?
R. Y. Toute ma vie est politique ! Enfant, mon père me faisait regarder deux choses à la télé : les matches de football et les débats politiques. Après Science-Po, j’ai été administratrice du Sénat pendant cinq ans. Mais, au Sénat, les hauts fonctionnaires comme nous ont un devoir de neutralité. J’ai adhéré au Club XXIe siècle qui m’a ouvert des horizons et où je pouvais m’exprimer. J’avais envie d’être dans le débat public. Envie de participer à la vie de mon pays.
F.-S. Vous souvenez-vous de ce qui vous a poussé à vous engager ?
R. Y. C’est sur une indignation que je suis entrée en politique : j’ai publié anonymement une tribune dans Le Monde à la suite de l’incendie de l’hôtel Opéra à Paris en 2005. Par ailleurs, je suis une enfant du 21 avril 2002. Le Pen au second tour, ça fait un choc. Waouh… J’étais bouleversée. Pour moi,  gauche et droite avaient oublié le peuple.
F.-S. Entrer au gouvernement à 30 ans, n’était-ce pas au-delà de vos espérances ?
R. Y. Non, parce que je ne l’imaginais pas ! J’avais fait la campagne partout en France depuis que, le 14 janvier 2007, le candidat m’avait donné la possibilité de m’exprimer en public, mais je n’attendais rien et on ne m’avait rien promis. J’avais un goût particulier pour les Affaires étrangères et, à l’époque, beaucoup d’admiration pour Bernard Kouchner.
F.-S. Le président de la République qui vous appelle pour vous confirmer votre nomination, ça devait être émouvant ?
R. Y. Il me dit : « Demain, je te nomme aux Affaires internationales et aux Droits humains. » Oh ! la la, c’est compliqué, ça ! (éclat de rire). J’ai préféré attendre le lendemain pour en avoir la confirmation à la télévision. Je me suis dit « waouh ». J’ai remercié le Président, mais j’étais déjà dans l’étape suivante. C’est mon éducation qui m’a toujours appris à faire mieux. Avoir la note au-dessus !
F.-S. Vous a-t-on vite parlé du devoir de réserve des ministres ?
R. Y. Au début, c’est surtout la presse qui m’a effrayée et qu’il a fallu gérer. J’étais très choquée par l’histoire qu’ils étaient tous en train de créer : l’icône des banlieues mise dans le même sac que Rachida et Fadela, malgré nos différences. Au nom de la diversité !… C’est la première fois que j’étais mise dans une case qui n’avait rien à voir avec la compétence. Tout ce chemin, ces études, ces concours, mon métier, pour être réduite à une caution morale ! Une telle régression !… C’était injuste.
F.-S. Quelles réactions le nouveau regard posé sur vous a-t-il provoqué ?
R. Y. Je devais mettre en avant autre chose que cette image qu’on voulait fabriquer de moi. Sortir du piège. Me distinguer par mes idées, par mon travail.
F.-S. Ce comportement ne vous a-t-il pas entrainée vers la sortie plus tôt que prévu ?
R. Y. On ne peut pas passer sa vie au gouvernement. Et je ne regrette rien. Que ce soit aux Droits de l’Homme ou aux Sports, j’ai réalisé beaucoup de choses dont je suis fière. Les compromis, j’en ai faits, et il en faut en politique, mais je n’aime pas les compromissions, qui vous éloignent de vos convictions. La liberté de parole, ça donne des ennuis aux libres-penseurs comme nous, mais ça nous rend tellement heureux !
F.-S. Et vos rapports avec votre ministre de tutelle, Bernard Kouchner ?
R. Y. Il était évidemment ma première motivation pour le Quai d’Orsay ! Vu son parcours, je pensais qu’il serait mon meilleur allié sur les droits de l’homme. Et ce fut l’inverse. J’y ai perdu un peu de mon innocence, mais rien de mon idéalisme. Je ne veux laisser personne me faire renoncer aux rêves qui m’ont construite.
F.-S. Comment encaissiez-vous les coups durs ?
R. Y. Au début, j’étais très sage. Je ne disais rien qui sortait des clous. J’avais une position compliquée. Mais j’ai choisi de parler et d’agir en faveur des Droits de l’Homme, de me battre, malgré les risques. Les Droits de l’Homme appartiennent au patrimoine immatériel de la France. Je n’avais pas le droit de les brader.
F-S. Et le Président, que vous disait-il ?
R. Y. « Après ça, tu sauras tout faire. » L’expérience…
F-S. Jusqu’à la venue à Paris de Kadhafi ?
R. Y. Oui. Sa venue était prévue le 10 décembre. Mais pas juste au moment de la Journée internationale des Droits de l’Homme. J’avais alors deux choix : ou je renonçais à défendre les Droits de l’Homme en demeurant silencieuse, ou j’assumais la mission qu’on m’avait confiée. Avec la certitude qu’après ça, je serais virée. J’ai pris le risque.
F.-S. Avec vos confidences choc au Parisien ?
R. Y. Oui, et le coup de fil du président ! Convocation à l’Elysée sur-le-champ ! Il fait appeler Claude Guéant et Jean-David Lévitte, qui ont surgi très fâchés. Le Président a fini par essayer de me comprendre.
F.-S. Vous êtes ambitieuse ?
R. Y. Oui. Pour moi, pour mon pays.
F.-S. Jusqu’où irez-vous ?
R. Y. L’avenir le dira. Je ferai le maximum.
F.-S. Est-ce un atout d’être en politique une femme ?
R. Y. Ni oui ni non. Enfin, moi je cumule… Je ne sais pas ce qui est le pire (rire). Le fait d’être une femme ? Noire ? Jeune ? Je crois que le plus handicapant, c’est l’âge et le soupçon d’immaturité qui accompagne ce préjugé. La diversité, c’est surtout un problème pour les conservateurs. Il est vrai qu'ils sont majoritaires en politique. Mais il ne faut pas jouer les victimes ni se plaindre. Il faut se battre pour ses idées.
F.-S. Votre popularité fait-elle de vous une des clés de la future campagne 2012 ?
R. Y. C’est important d’être apprécié des Français. Mais ça peut en horripiler quelques-uns. Alors, le système cherche à vous normaliser ou à vous rejeter. L’essentiel, c’est de garder son cap. Pour 2012, soit on estime que je suis utile et je rentre dans le dispositif. Soit non, et je continuerai quand même à faire ma vie. Je ne subis rien.
F.-S. Pourquoi avoir accepté un poste à l’Unesco ?
R. Y. C’est une proposition du Président. Il a estimé que la culture et l’international me plairaient du fait de mon expérience. Même si, à ce moment-là, je voulais travailler aussi avec le Parti radical, j’ai pensé qu’il était important d’honorer, de manière apaisée, la proposition du Président. C’est une mission temporaire. Je vais faire du mieux possible car l’Unesco est une belle organisation.
F.-S. Aujourd'hui, vous êtes toujours sarkozyste ?
R. Y. (Elle réfléchit) Je suis dans l’équipe réserve, comme d’autres ! J’espère que, dans un contexte où les conservateurs sont nombreux, le Président restera le progressiste qu’il a toujours été. J’espère qu’il restera volontaire et qu’il aura toujours le souci de changer la vie. Parce que la France a une grande histoire, elle mérite un grand destin. Seul le changement l’y conduira, avec des hommes et des femmes de progrès.
F.-S. S’il vous demandait de revenir, vous iriez ?
R. Y. Oui, sur la base d’un projet volontariste. Les idées sont importantes quand il s’agit de rejoindre une équipe. l

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