TOUT EST DIT

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lundi 14 février 2011

Lettre au président de la République

Monsieur le Président, ce qui se déroule sous vos yeux, en Egypte aujourd'hui comme en Tunisie hier, et très probablement dans d'autres pays du monde arabe demain, n'est rien moins qu'une révolution, au sens où le mot a pu être utilisé pour désigner les événements qui sont intervenus en France à partir de juillet 1789. Ce sont des « bastilles », symboliques ou bien réelles, qui sont en train de tomber de l'autre côté de la Méditerranée. Et c'est au nom des valeurs portées par la Révolution française -matrice de toutes les révolutions -, que depuis plus d'un mois des hommes et des femmes, le plus souvent très jeunes, bravent la violence des régimes en place pour conquérir une liberté que nous avons conquise il y a plus de deux siècles.

Avant de vous demander si ce qui se passe, là -bas, peut être « mauvais pour nous », demandez-vous si « cela peut être bon pour eux ». En dépit de risques réels de désordre d'abord et d'islamisme ensuite, la réponse est bien évidemment oui. Et ce qui est bon pour « eux » est bon pour « nous ». Un monde arabe humilié, conscient du décalage qui peut exister entre ce dernier et les puissances émergentes d'Asie ou d'Amérique latine, constitue un danger pour lui-même et pour les autres. Le statu quo politique est une garantie d'instabilité. Ce sont des prisons égyptiennes que sont sortis nombre des kamikazes du 11 septembre 2001. La tentation de jouer de la peur de l'islamisme et non de l'espoir de la liberté ne peut que se retourner contre nous. Les foules pacifiques de la place Tahrir, qui ont obtenu le départ d'Hosni Moubarak, doivent être avant tout perçues comme un défi redoutable pour l'Iran des ayatollahs, Al-Qaida et tous les fondamentalismes. Comme vous l'avez souligné vous-même, monsieur le Président, au cours de votre discours lors du dîner annuel du CRIF (1), ces foules n'expriment aucune haine de l'Occident ou d'Israël.

La possibilité de l'existence à nos côtés d'un monde arabe mûr, réconcilié avec lui-même, ayant retrouvé sa dignité et dépassé sa culture d'humiliation, constitue pour la France comme pour le monde une chance historique, une occasion unique que nous ne pouvons nous permettre de manquer, par légèreté ou, pire, par une priorité donnée à des calculs de politique intérieure sur des considérations stratégiques. La France ne gagnerait rien à se trouver en porte-à-faux par rapport à ses valeurs, au nom d'une vision peureuse de ses intérêts.

La France est la terre des droits de l'homme. Elle a, du fait de sa géographie et de son histoire, des responsabilités particulières de l'autre côté de la Méditerranée. A la tête du G20, elle se trouve aussi avoir des cartes uniques à jouer.

L'Allemagne est sortie renforcée de la crise financière et économique récente. Elle est plus que jamais le maillon fort de l'Union. La France a lancé hier l'idée d'une Union pour la Méditerranée : avec un peu d'imagination, de courage et d'audace, elle peut être le moteur d'une Europe ouverte et généreuse dans ses relations avec une société arabe qui se réapproprie des valeurs qui sont les nôtres.

Jouer la carte de l'espoir et non celle de la peur dans le monde arabe présuppose une prise de distance avec les régimes en place. Cela implique aussi sans doute un rapprochement avec un pays clef pour l'ordre et la stabilité de la région, la Turquie. « Le risque de la démocratie » dans le monde arabe tout comme « le risque de la paix » pour Israël sont réels, certes. Mais les alternatives sont bien pires.

Il n'y a pas plus de malédiction arabe qu'il n'y a de malédiction musulmane. A terme, rien n'interdit à l'Egypte de connaître une évolution à l'indonésienne ou à la turque ! Monsieur le Président, « n'ayez pas peur ». L'Histoire frappe à la porte, elle ne « repassera pas les plats ». La fierté et la confiance retrouvées des peuples arabes en eux-mêmes constituent la meilleure des protections face aux fondamentalismes. C'est en défendant ses valeurs avec lucidité et courage que la France servira le mieux ses intérêts.

(1) Conseil représentatif des institutions juives de FranceDominique Moïsi est conseiller spécial à l'Ifri

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