TOUT EST DIT

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lundi 14 février 2011

La finance à l'épreuve des citoyens

La crise financière révèle un déficit de démocratie dans la sphère économique : la concentration d'un pouvoir financier affranchi de tout contrôle citoyen conduit à la catastrophe. Ce déficit démocratique suscite une volonté latente de se réapproprier l'économie, de réagir et d'agir, de devenir acteur face à un système perçu comme opprimant et implacable. Bref, une certaine envie d'injecter de la démocratie dans l'économie de marché.

C'est possible. Le collectif Sauvons les riches l'a souligné dans la foulée, en rappelant « qu'il y avait des banques responsables de la crise et des banques responsables tout court » et en invitant à choisir sa banque selon des critères éthiques. Un mouvement est en marche. La Fédération européenne des banques éthiques et alternatives (FEBEA) vient de se faire entendre en suggérant de mobiliser les capacités financières en Europe en faveur de l'emploi (Europe Active). Le Crédit Coopératif, la Nef y participent.

L'enjeu est donc de faire bouger l'ensemble du monde bancaire, mais sûrement pas en le vouant aux gémonies de manière démagogique, comme c'est la tentation croissante en France. Transformer les banques en boucs émissaires de tous les maux empêche de penser et d'inventer de nouvelles solutions. Nous avons besoin des banques.

Après l'incendie de la crise, notre société aura en effet besoin de finance patiente et responsable pour investir massivement dans les enjeux de notre monde : le vieillissement, l'éducation, l'environnement, l'emploi, la cohésion sociale... Ainsi, si les banques ont été au coeur du problème, elles peuvent et doivent être au coeur de la solution.

Elles n'y arriveront pas forcément seules, sans les citoyens, sans régulation. Citons ici deux pistes pertinentes pour y parvenir, l'une issue de la société civile, l'autre du législateur.

D'abord, l'idée proposée par l'eurodéputé Pascal Canfin de créer une sorte de « Greenpeace de la finance », c'est-à-dire un acteur de la société civile, à même d'évaluer de manière distanciée et crédible l'impact social et environnemental des banques et de leurs activités. Objectif : produire une contreexpertise citoyenne, stimuler les démarches de progrès, éclairer les clients usagers des banques.

Les Amis de la Terre ont défriché le sujet en publiant le premier classement « intensité carbone » des banques françaises. On peut poursuivre et approfondir les autres dimensions : impact social des projets financés, volume des placements dans les paradis fiscaux, du financement de l'économie réelle territoriale (notamment TPE-PME), échelle des salaires dans l'entreprise (bonus compris), etc.

Une seconde piste consisterait à travailler sur un « CRA à la française ». Ce sigle (Community Reinvestment Act) désigne un dispositif américain qui a amené les banques américaines réglementées à davantage assumer leur responsabilité en matière d'exclusion financière et à rendre compte de manière transparente de leur investissement sur les territoires sensibles. Et ce, sans nuire à leur activité économique, au contraire !

Grâce au CRA, depuis plus de trente ans, plus de mille milliards de dollars de crédit et de services bancaires ont en effet été canalisés vers les territoires et populations défavorisés, sans impact négatif mesurable sur les bilans des banques.

Ce dispositif constitue une véritable innovation sociale, alliant exigence d'information (via une notation ad hoc), souplesse de fonctionnement (via un jeu d'incitations-sanctions) et une gouvernance territoriale multiparties prenantes (banques, société civile, collectivités). Les organisations de consommateurs, les médias, les citoyens peuvent faire pression à partir des informations « CRA ». Un dialogue fructueux, sous tension, s'instaure avec les banques.

En France, il n'y a pas de réelle lisibilité sur la réalité de l'action des banques en faveur des territoires fragiles, des personnes qui y vivent et des entreprises qui s'y développent. Pas plus d'information sur la traçabilité de l'usage des dépôts qui y sont collectés (quelle part réinvestie localement ?) et les discriminations éventuelles qui sont pratiquées. Ces constats plaident pour une réflexion sur un « CRA à la française », et même au-delà, un CRA européen.

Promotion et développement de banques éthiques, mise en place d'une ONG d'évaluation de la finance (« finance watch »), réflexion sur un « CRA à la française », trois pistes porteuses d'avenir qui ont en commun une même ambition : mettre la finance à l'épreuve des citoyens.

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