La désormais fameuse petite phrase d'Anne Sinclair - « pour ce qui me concerne, je ne souhaite pas que Dominique (Strauss-Kahn) fasse un second mandat au FMI » -a plongé le PS dans un abîme de perplexité. Elle a en revanche libéré les responsables UMP qui ont ironisé comme jamais sur le candidat « oracle » (Jean-François Copé), artisan de « la salsa au PS » (François Baroin), incarnant « la gauche ultra caviar » (Pierre Lellouche) et définitivement « old school » puisqu'il utilise sa femme pour faire passer ses messages (Laurent Wauquiez). Comment porter le fer contre un candidat fantôme ? L'Elysée tourne autour de la question depuis six mois sans être parvenu à arrêter de stratégie ferme. La phrase d'Anne Sinclair a eu ceci de libérateur qu'elle a enfin, l'espace d'un instant, apporté du concret. Elle a aussi levé le voile sur la fébrilité de la majorité autour de la question DSK.
Jusqu'à ces derniers jours, interdiction de parler. La contre-attaque au possible candidat socialiste relevait exclusivement du président de la République, qui, lui-même, se voulait indifférent - « quel que soit le candidat, l'élection se terminera à 50-50 » -ou minimisait l'« envie » du socialiste de se présenter. C'était l'époque où Dominique Strauss-Khan était dépeint en coulisses comme un « dilettante », avant tout soucieux de son « confort », et où l'on pariait que son poste à la tête du FMI (décroché avec l'appui de Nicolas Sarkozy, comme celui-ci le rappelle régulièrement) suffirait à son bonheur et à son désir d'action. Quel est l'adversaire le plus dangereux pour Nicolas Sarkozy ? A cette question, ministres et responsables de la majorité avaient une réponse toute prête : Martine Aubry, même si un court moment, à la fin de l'année dernière, François Hollande a pris le relais. Mais de DSK point, malgré des écarts vertigineux dans les intentions de vote pour le second tour de 2012 (60/40 en faveur du socialiste). Si loin du scrutin, ces sondages ne veulent rien dire, répondait non sans bon sens l'UMP. Sur la scène internationale, Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn se côtoyaient sans aucun signe de tension apparente.
Cibler Martine Aubry n'était pas fondé sur rien. Absent de la scène nationale depuis trois ans et demi, Dominique Strauss-Kahn est, de l'avis même de ses proches, surcoté dans les sondages, comme le sont les personnalités qui ne sont pas en responsabilité. Il aura aussi beaucoup plus de mal que la première secrétaire du PS à rassembler la gauche le moment venu. En témoigne la virulence de Jean-Luc Mélenchon contre le « désastre » DSK. Mais cibler Martine Aubry a aussi eu d'emblée une dimension dissuasive à l'encontre de son challenger de Washington. Si l'on considère comme évident que Dominique Strauss-Kahn ne sera pas candidat à la présidentielle, cela peut tout simplement vouloir dire que l'on sait très bien qu'il ne pourra pas l'être. Ou du moins que l'on cherche à le lui faire penser.
Depuis le mois de janvier, la stratégie de l'Elysée a évolué, l'adversaire DSK est reconnu comme tel. Mais la volonté de dissuader le patron du FMI de revenir en France n'est en rien diminuée. Au contraire. Les proches du président veulent voir dans le temps de réflexion que s'accorde DSK la preuve qu'il est indécis, et donc inquiet des conséquences d'une éventuelle candidature. Ils se donnent donc cinq mois (les candidats socialistes ont jusqu'au 13 juillet pour se déclarer) pour lui faire entendre qu'il a effectivement des raisons d'avoir peur. Les confidences sur son rapport à l'argent sont de moins en moins murmurées. Nicolas Sarkozy raconte à ses visiteurs que DSK serait son adversaire favori, tant ses défauts supplanteraient les siens. « Il serait pour moi un paratonnerre. Il a toutes les qualités de nature à attirer la foudre, avec les médias tels qu'ils sont aujourd'hui », explique-t-il. Ses proches décryptent : « Lors de sa dernière visite à l'Elysée, dans le cadre du G20, DSK est arrivé avec une Mercedes à 100.000 euros : impensable si l'on veut se présenter devant les Français. » Conclusion du chef de l'Etat : « Quand la capsule va rentrer dans l'atmosphère, elle va se mettre à chauffer terriblement. »
L'Elysée affine également l'arsenal qui attendra Dominique Strauss-Kahn s'il se porte un jour candidat. Déserter le FMI en pleine crise économique « est lourd de responsabilités », pointe d'ores et déjà l'entourage présidentiel, au moment qui plus est où Nicolas Sarkozy travaille, lui , à une meilleure régulation mondiale dans le cadre de la présidence française du G20. En outre, si Dominique Strauss-Khan ne « se représente pas à la direction du FMI, le siège sera perdu pour la France », glisse Claude Guéant, en pointant là encore sa « responsabilité ». Autre angle d'attaque : compliquer l'atterrissage à gauche de la « capsule » DSK. Dans ses priorités pour la présidence du G20, Nicolas Sarkozy a habilement proposé une modification des statuts du FMI. Il en a donné le décryptage politique lors de sa conférence de presse du 24 janvier. « Est-ce que le FMI ne serait pas davantage dans son rôle en s'intéressant aux mouvements de capitaux, aux désordres monétaires... plutôt que simplement en se mobilisant pour savoir si tel ou tel pays extrêmement pauvre n'augmente pas trop ses fonctionnaires ? », a-t-il interrogé. Présenter le FMI actuel comme l'organisme libéral qui contraint les pays pauvres : voilà exactement la vision qu'en développe Jean-Luc Mélenchon. Aller dans le sens du leader du Front de gauche, voilà qui appuie sur le point politiquement le plus douloureux de Dominique Strauss-Kahn. Et tant pis si en rodant ainsi ses attaques, la majorité concède du même coup qu'elle n'envisage plus du tout à la légère l'éventualité d'une candidature DSK. L'homme a une stature internationale et une compétence économique qui peuvent lui permettre de disputer à Nicolas Sarkozy son rôle de « protecteur » des Français. Le silence soigneusement entretenu et la phrase d'Anne Sinclair le classent parmi les « pros de la com ». Pour l'UMP, DSK est un danger.
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