lundi 14 février 2011
Six mois pour bâtir la démocratie en Égypte
Rassurer les Égyptiens en encadrant leur révolte. Rassurer l'étranger en confirmant les traités. Garder le contrôle de la rue et du pouvoir pendant que le vieux chef se fait chasser par la colère populaire. Sur ces trois fronts, l'armée égyptienne vient, en l'espace de trois semaines, de réaliser un véritable sans-faute. C'est elle qui a désormais toutes les clefs de l'après-Moubarak. Elle va dicter le rythme et l'ampleur du mouvement de réforme enclenché par la demi-révolution qui s'est jouée, place Tahrir, en mondiovision.
Depuis hier, on en sait un peu plus sur les premières intentions des généraux. Dissolution du Parlement, suspension de la Constitution, délai de six mois pour préparer des élections et remettre le pouvoir à un civil. Ce cadre, essentiel pour assurer une transition pacifique, a été posé par les militaires. La révolte égyptienne prend, jusqu'ici, le bon chemin, même si manquent encore à l'appel la révocation de l'état d'urgence et la libération des prisonniers politiques.
Ce rôle central de l'armée n'est pas le moindre des paradoxes des événements du Caire, puisque, depuis près de soixante ans, c'est elle qui a toujours gouverné. Fidèle aux dirigeants issus de son rang, qu'il s'agisse de Nasser, de Sadate ou de Moubarak. Si fidèle d'ailleurs, que le nouvel homme fort de la transition, le général Tantaoui, était, il y a quelque jours à peine, surnommé le caniche de Moubarak. Les télégrammes diplomatiques américains, révélés par WikiLeaks, le décrivent comme un homme opposé aux réformes économiques et aux ouvertures politiques.
Il serait donc naïf de croire en une conversion fulgurante aux idéaux démocratiques. L'armée ¯ et son état-major ¯ amplement financée par Washington, a fait preuve de sang-froid, et la population lui sera toujours reconnaissante de ne pas avoir tiré sur la foule. Mais elle a d'abord défendu l'institution. Le vrai test sera le passage du pouvoir à un civil.
Six mois très délicats nous séparent de cet événement qui serait une première absolue dans l'histoire de l'Égypte moderne. Là résidera la vraie révolution, dans la construction d'un nouveau régime politique garantissant ce qui a toujours manqué aux Égyptiens : la représentation au Parlement de toutes les sensibilités, la liberté d'opinion et d'association. Or, cette structuration de l'espace démocratique ne tombe jamais du ciel, elle ne peut venir que des acteurs qualifiés d'une société civile sûre de son propre élan.
Ce qui est frappant dans le renversement des régimes de Ben Ali et de Moubarak, c'est le retour aux fondamentaux. Certes, on doit à Internet le coup de bélier décisif qui a fait sauter la censure, mais c'est dans la rue, de manière on ne peut plus classique, que le bras de fer avec le pouvoir a été gagné. Ce sont les jeunes qui en ont été le moteur (y compris dans l'entourage d'Obama, contre l'avis plus prudent du Département d'État). Au nom de revendications, elles aussi, classiques : demande de liberté, de dignité et de conditions économiques acceptables, contre l'arbitraire, la violence, la corruption.
L'espoir qui enveloppe tout le monde arabe est aussi le nôtre. Car une porte vient d'être ouverte, sur l'autre rive de la Méditerranée, pour démentir certains théorèmes ou clichés sur cette région, la génération Internet ou le choc des civilisations. Donner corps à cet espoir est un défi pour les Égyptiens, mais aussi un appel lancé à nos démocraties. Nul ne comprendrait que nous n'ayons aucun savoir-faire à exporter en la matière.
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