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lundi 14 février 2011

Auschwitz-Birkenau : la restauration programmée

Comment sauvegarder Auschwitz-Birkenau, en Pologne, le plus vaste camp de concentration et d'extermination des juifs d'Europe né de la folie nazie ? Ces 200 hectares, classés en 1979 au Patrimoine mondial de l'Unesco, reçoivent 1,4 million de visiteurs par an. Comment repenser l'accueil, la muséographie, au risque d'aseptiser la vérité ?
Après cinquante-cinq ans de négligence et des années de polémique, l'heure est aux choix. Avec la chute du mur de Berlin, en 1989, les mentalités ont évolué. Les Polonais se sont peu à peu réapproprié le passé juif. Le musée d'Etat d'Auschwitz, datant de 1955, considéré comme un lieu du martyre polonais, est devenu "Auschwitz-Birkenau, camp de concentration et d'extermination nazi (1940-1945)", selon l'appellation de l'Unesco.
"Ce lieu est nécessaire à nous tous. C'est là que nous pouvons le mieux comprendre la tragédie de l'Europe plongée dans la guerre et la haine mutuelle", affirme Piotr M. A. Cywinski, directeur du site et président de la Fondation Auschwitz-Birkenau, créée en 2009 pour assurer sa conservation.
Le défi à relever est colossal. Il consiste à maintenir l'authenticité des 155 structures de bois et de brique, en les consolidant sans les reconstruire, et des 300 ruines, dont celles des chambres à gaz et crématoires dynamités par les nazis avant leur départ. Il faut entretenir les kilomètres de routes et restaurer les milliers de documents et effets personnels des victimes.
A une heure de Cracovie, l'ancienne capitale royale de la Pologne, on rejoint Auschwitz-Birkenau par une route qui file entre les bouleaux et les pins. Ici ou là surgissent des maisons pimpantes, aux couleurs de bonbons, aux jardinets bien tenus. Ce mardi 1er février, sous un ciel d'azur décoloré, la neige glacée recouvre tout.
Une fois traversé Oswiecim, avec ses enseignes Carrefour et Toyota, le changement de décor est brutal : voilà l'ancienne gare à l'abandon et ses enfilades de wagons rouillés. Au pied des miradors, derrière les remparts de barbelés sans fin, 900 000 juifs ont été gazés, à leur descente du train, à Birkenau - 172 hectares de marécage, consacrés à l'extermination -, sans même franchir les limites d'Auschwitz, les 20 hectares du camp de concentration voisin.
Francesco Bandarin, sous-directeur général pour la culture à l'Unesco, directeur du Centre du patrimoine mondial, insiste sur la complexité du site : "Le problème de gestion des alentours reste entier : les habitants voudraient avoir une vie normale, ils ne comprennent pas pourquoi tout devrait être figé. Les jeunes revendiquent une discothèque. Le débat philosophique sur la banalité du mal est acharné. Il faut étudier les choses de près, celles des vivants, et pas seulement celles des morts."
Comment garder intacte la mémoire de cette tragédie ? Les montagnes de valises, de chaussures d'hommes, de femmes et d'enfants, de lunettes, brosses, bols, cuillères, cartes d'identité... confisqués aux détenus, sont exposées dans les "Blocs 1 et 2" d'Auschwitz. Le plus délicat concerne la conservation des tresses et des boucles des victimes, qui se désintègrent : 2 tonnes de cheveux. Sinistre vestige, le plus émouvant. Vendus 50 centimes le kilo, ils servaient à la confection de toiles de draps.
Prioritaire aussi, la sauvegarde des bâtiments, 45 baraques en brique de Birkenau, aux fondations fragilisées, qui logeaient, chacune, jusqu'à 800 femmes, doit intervenir "le plus rapidement possible", indique M. Cywinski. Construits par les détenus, ils n'étaient pas faits pour durer.
"Le financement est aux deux tiers achevé", précise M. Cywinski, qui a chiffré à 120 millions d'euros le budget nécessaire à la restauration du site. Notamment grâce à "l'Allemagne, qui s'est engagée pour 60 millions d'euros sur cinq ans ; les Etats-Unis donneront 11,1 millions, l'Autriche 6 millions ; la Ville de Paris apportera 310 000 euros". L'argent placé sur un "fonds perpétuel" devrait générer 4 millions d'euros de revenus annuels. Reste 30 millions d'euros à trouver. "Nous sommes en discussion avec la Belgique, la Grande-Bretagne. La France est muette."
Côté muséographie, un concours international va être lancé pour la conception d'une exposition permanente prévue dans le "Bloc 1" d'Auschwitz. Raphaël Esrail, lui, "demande instamment", au nom l'Union des déportés d'Auschwitz, dont il est président, la création d'un dispositif muséographique spécifique à Birkenau, pour "faire comprendre sur le lieu même ce qui s'est passé : l'assassinat à l'échelle industriel le".
"Nous sommes en discussion, assure M. Cywinski, il faut être très attentif à ne pas surcharger Birkenau." Quant au musée existant à Auschwitz, avec la force crue de sa scénographie des années 1950, il faudrait le conserver tel quel.

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