Cinquante ans de carrière militaire, trois guerres contre Israël et vingt ans passés au gouvernement : Mohamed Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées, dépositaire du pouvoir, n'est pas vraiment le jeune révolutionnaire post-Moubarak que la foule attendait après dix-huit jours de soulèvement. Cet apparatchik de 75 ans apparaît surtout comme le candidat des Etats-Unis et il doit encore prouver qu'il est capable d'effectuer la "transition pacifique" promise, samedi 12 février, par le Conseil suprême des forces armées.
M. Tantaoui a par la suite participé à deux autres conflits armés contre l'Etat hébreu, lors de la guerre des Six Jours en 1967, puis celle du Kippour en 1973. En 1991, il a ensuite joué un rôle-clé en conduisant les forces armées au sein de la coalition qui est intervenue au Koweït après l'invasion irakienne. Quatre ans plus tard, il fut nommé au poste qu'il occupe encore aujourd'hui, celui de commandant général des forces armées.
Au-delà de ces faits d'armes, le CV du nouvel homme fort de l'Egypte présente aussi un lourd volet politique, puisque celui-ci a occupé la fonction de ministre de la défense et de la production miliaire pendant vingt ans (1991-2011). Enfin, Mohamed Tantaoui a reçu une promotion aussi récente qu'éphémère : le 29 janvier, Hosni Moubarak l'avait nommé vice-premier ministre, pensant calmer les ardeurs des révolutionnaires de la place Tahrir.
Un élément au pouvoir depuis aussi longtemps semble donc peu enclin au changement. Un télégramme diplomatique américain révélé par WikiLeaks et datant de 2008 décrit Tantaoui comme quelqu'un de "charmant et courtois" mais aussi "âgé et hostile au changement". Les câbles le décrivent, lui et Hosni Moubarak, comme des hommes n'ayant "tout simplement pas l'énergie, l'inclination ou la vision du monde pour faire les choses différemment".
Rassurant à l'intérieur. Agé de 75 ans, Mohamed Tantaoui peut aussi se poser en garant de la stabilité et du renoncement à la violence. On l'a vu pendant les jours de soulèvement : l'armée a toujours su faire preuve de retenue, contrairement à la police, accusée de nombreuses violences. Les manifestations ont d'ailleurs été marquées par de nombreuses scènes de fraternisation entre la foule et l'armée.
En outre, un ancien enquêteur auprès de Human Rights Watch disait vendredi à ABC News qu'en ce qui concerne les abus sur les droits de l'homme, l'ONG était "beaucoup plus confiante et optimiste sur ce qu'il va se passer", maintenant que l'armée dirige le pays.
La plupart des observateurs font par ailleurs remarquer que le militaire n'a pas d'aspirations politiques. "Tantaoui n'a pas d'ambition présidentielle. Personne à l'intérieur du Conseil suprême de l'armée ne souhaite qu'il en ait", assure au Washington Post Hosam Sowilam, général à la retraite et ancien camarade de M. Tantaoui à l'école militaire.
Rassurant à l'extérieur. Du haut de ses dizaines d'années d'expériences, Mohamed Tantaoui est en fait – surtout – le candidat idéal des Etats-Unis et d'Israël, avec qui il a tissé de nombreux liens. D'après Mohamed Kadry, un ancien général de l'armée interrogé par le Washington Post, il "comprend l'importance de la relation" avec les Etats-Unis. D'autant plus que Washington octroie à l'armée 1,3 milliard de dollars d'aide par an.
D'autre part, l'armée a répété qu'elle restait liée par les traités internationaux signés par l'Egypte, histoire d'apaiser les inquiétudes des Etats-Unis et d'Israël sur le devenir des accords de paix israélo-égyptiens de 1979. Dimanche, le Conseil suprême des forces armées a noué des premiers contacts plutôt positifs avec les dirigeants israéliens et, devant la presse, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s'est félicité de l'engagement de l'armée de respecter le traité de paix conclu avec Israël.
D'ailleurs, d'après le document de WikiLeaks de 2008, les Etats-Unis jugent que, marqué par trois guerre contre Israël, Mohamed Tantaoui est à présent "déterminé à en éviter une autre".
Instable. Mais ce document souligne aussi que "des officiers de rang intermédiaire sont très critiques à l'égard [du] ministre de la défense, qu'ils estiment plus prompt à valoriser la loyauté que la compétence chez ses subordonnées". Ces mêmes officiers le surnommaient d'ailleurs le "caniche" de Moubarak. Si la période de transition dure un peu trop, le risque de mutinerie dans l'armée pourrait augmenter.
Quant à la société civile, elle l'a vu partager, un peu interdit, la joie des jeunes révoltés place Tahrir. Vendredi, tandis qu'il célébrait la chute du raïs devant le palais présidentiel, le peuple égyptien ne l'a reconnu que comme l'homme de la transition, non comme le nouvel homme fort et permanent du pays.
Ainsi, comme l'écrit Oren Kessler, dans le Jerusalem Post, "la rêverie se terminera bientôt s'il n'arrive pas à mettre en œuvre les réformes démocratiques et le gouvernement civil que les manifestants ont exigés".
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