TOUT EST DIT

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mardi 15 février 2011

Quand l'Etat crée le brouillard

C'était trop compliqué. Finalement, l'impôt sur la fortune survivra. Et si le bouclier fiscal disparaît, il sera remplacé par un plafond. Le grand ménage de la fiscalité du patrimoine promis par le président de la République il y a trois mois a été volatilisé sous la pression des lobbies, la résistance des parlementaires et les savants calculs des experts de Bercy. Autrement dit, le système va devenir encore plus compliqué l'an prochain. Et ce n'est pas fini, car il est probable que le prochain président, de gauche ou de droite, tiendra à réformer lui aussi cet impôt stupide faute d'avoir le courage ou l'énergie de l'envoyer à la réforme.

Le journaliste aurait mauvaise grâce de s'en plaindre. Ca fait de beaux titres à la Une, des échauffourées à raconter, des clics sur Internet. Mais il en va tout autrement pour le citoyen, le contribuable, le patriote. Car l'Etat passe son temps à organiser la pagaille. Normalement, dans un monde qui bouge de plus en plus vite, où l'obsession du court terme chasse la vision à long terme, l'action publique devrait calmer le jeu, donner des repères, élargir l'horizon. C'est tout l'inverse qui se passe aujourd'hui. L'Etat crée de la volatilité, cette volatilité qu'il entend par ailleurs extirper des marchés financiers.

La preuve par trois exemples. D'abord, le marché de l'emploi. Près de 900.000 hommes et femmes travaillent dans la fonction publique en étant « non titulaires », soit 16 % du total. Pour parler clair, ils sont en contrat à durée déterminée. Au bout du compte, la précarité touche bien plus le secteur public que le secteur privé, où « seulement » 12 % des salariés sont dans des conditions précaires (CDD, intérim, stages). C'est le contrepoids inévitable d'une organisation du travail complètement figée du côté des fonctionnaires. Les uns ont l'emploi à vie, les autres la volatilité à vie.

Deuxième exemple : l'impôt, donc. Dans son rapport « Cartes sur table 2011 » publié la semaine dernière, le Medef donne des chiffres stupéfiants : « La taxe professionnelle a été modifiée 68 fois depuis 1975, le crédit impôt recherche 24 fois depuis 1982, la taxation des plus-values sur actions des particuliers 10 fois depuis 1989. » La frénésie ne s'arrête pas là. Pour reprendre l'ISF, il a été créé en 1989, plafonné à 70 % (impôt sur le revenu et ISF ne devaient pas dépasser cette proportion des revenus) puis à 85 %, puis le plafonnement a été déplafonné en 1995, puis recréé par le bouclier à 60 % en 2006 et à 50 % en 2007, le tout accompagné d'incessants changements de la base taxée. Le barème de l'impôt sur le revenu, lui, a changé en 1994, 1997, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2007 et 2011. Au lieu d'être un jardin à la française, notre fiscalité est une mer agitée aux vagues imprévisibles. Gare au promeneur, qui risque d'être emporté par une lame.

Troisième exemple : l'énergie solaire. Pour encourager l'essor de cette électricité verte, l'Etat avait décidé de la subventionner. Le kilowattheure solaire venant de panneaux intégrés aux constructions (toits, etc.) devait être acheté par EDF 60 centimes (alors que le particulier paie son kWh moins de 12 centimes). Le 1 er janvier 2010, ce prix a été abaissé à 42 centimes. Au 1 er septembre, il est passé à 37 centimes. Et à la fin de l'année, a été décrété un moratoire de trois mois pour les nouveaux projets...

Ces trois exemples ont tous la même conséquence : l'action de l'Etat crée le brouillard au lieu de le réduire. Près d'un million de salariés vivent dans l'angoisse du prochain contrat que voudra bien signer -ou non -son employeur public. Des millions de contribuables ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés demain. Des centaines d'entreprises annulent leur projet d'équipement solaire, compromettant l'émergence d'une véritable filière pour laquelle la France avait pourtant de réels atouts. Même si chaque action, chaque décision, chaque changement peut se justifier par une excellente raison, leur enchaînement est injustifiable. Les Français n'ont d'autre choix que de s'y résigner. Il en va autrement pour les étrangers qui veulent investir en France : ils citent invariablement l'imprévisibilité de l'action publique comme l'une des principales barrières à leurs projets en France. Il est urgent de mettre fin au mouvement brownien. De décréter le moratoire des microchangements. De revenir à un Etat stratège.

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