« too big to fail ? »
Les grands Européens à l'origine de l'euro espéraient que la solidarité créée entre les peuples par le partage d'une monnaie commune donnerait progressivement naissance à une Europe politique. Il est toutefois peu probable qu'ils aient imaginé un scénario aussi périlleux que celui qui secoue la zone euro depuis bientôt un an.
A quelques jours du Conseil européen de décembre, le bras de fer entre les marchés financiers et les institutions de la zone euro se poursuit comme un jeu de dominos à haut risque, dans une incompréhension réciproque qu'aggrave le contexte spécifique et inédit de l'Union économique et monétaire (UEM). Après la Grèce et l'Irlande, le Portugal est désormais sur la sellette, et la liste des maillons faibles potentiels de la zone s'allonge de semaine en semaine.
Les marchés continuent de manifester une triple défiance à l'égard de la solvabilité des Etats dits périphériques, de la viabilité des plans de sauvetage et, en dernier ressort, de la solidité de l'UEM elle-même. Et ils testent les gouvernements sans relâche en mettant la pression sur les vulnérabilités du système.
La réponse des autorités de la zone euro (gouvernements et BCE), secondées par le FMI, se veut volontariste : tout sera mis en oeuvre pour venir en aide aux Etats en difficulté et rétablir le calme sur les marchés. Avec une prémisse plus ou moins explicite : le coût d'une implosion de la zone euro serait infiniment supérieur à celui du sauvetage financier de ses membres les plus fragiles. En d'autres termes, la zone euro représente l'institution « too big to fail » par excellence, et son éclatement, un risque systémique catastrophique pour ses Etats membres, y compris l'Allemagne, pour la construction européenne dans son ensemble, mais aussi pour le système financier mondial.
L'ennui est que la garantie de fait qui résulte de cette situation pousse les marchés à la surenchère, soit qu'ils doutent de la capacité des Etats à l'honorer, soit qu'ils cherchent simplement à en tirer parti, en augmentant les primes de risque et en imposant le renflouement de la situation financière de leurs débiteurs souverains.
La réaction des marchés à la volonté allemande de les faire contribuer aux pertes de leurs investissements - certes malvenue en pleine crise irlandaise, mais justifiée dans son principe -illustre bien la situation particulière que crée l'UEM : les gouvernements de la zone euro se retrouvent bel et bien otages du « too big to fail ». Résultat : jugée inévitable par les marchés au début de la crise grecque, alors que les institutions de la zone euro refusaient crânement d'en entendre parler, la restructuration de la dette des Etats en difficulté fait désormais l'objet d'un duel à fronts renversés, où les marchés sont en position de force.
Où tout cela s'arrêtera-t-il ? Les autorités de la zone euro ont jusqu'à présent essentiellement réagi sur le terrain financier : plans de sauvetage de la Grèce et de l'Irlande, constitution du Fonds européen de stabilité financière, interventions massives de la BCE sur le marché des obligations des Etats attaqués, projet de « mécanisme permanent de résolution des crises ». Tout cela n'a pas empêché la crise de faire tache d'huile.
Or les failles de l'UEM sont de nature économique et politique, et les mesures prises par les Européens sur ce terrain-là - sous la bannière de la « réforme de la gouvernance économique de la zone euro » -demeurent insuffisantes et incertaines. Il faudra aller beaucoup plus loin dans la réponse économique et politique à apporter au scepticisme des marchés pour enrayer la crise et assurer la stabilité à long terme de l'UEM.
Réduction des déséquilibres macroéconomiques internes et stratégie de croissance commune digne de ce nom, mécanismes de solidarité budgétaire, constitution d'un marché commun de la dette publique en euro sont les seules réponses à la hauteur du défi. Elles prendront du temps à mettre en oeuvre, mais le cap doit être donné sans tarder.
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