TOUT EST DIT

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mardi 7 décembre 2010

Merkel et les marchés, 
une relation tourmentée

On aurait pu penser qu'après la douloureuse expérience grecque, les Allemands auraient géré les développements ultérieurs de la crise de l'euro avec plus de doigté. Appris à ne pas mettre les salles de marché à feu et à sang. Il n'en a rien été. A la suite des déclarations à l'emporte-pièce de la chancelière, cet automne, les milieux financiers parlent désormais de « Merkel crash ». Après l'avoir accusée d'avoir renchéri le sauvetage d'Athènes en traînant des pieds, on lui reproche maintenant d'avoir aggravé, sinon provoqué, les difficultés de Dublin en réclamant trop tôt, trop haut et trop fort, de nouvelles règles pour la zone euro. Et, tout particulièrement, en complément du mécanisme permanent appelé à succéder au fonds (FESF) mis en place au printemps pour trois ans, une participation du secteur privé aux futures crises. Pour Jean Pisani-Ferry, directeur de l'Institut Bruegel, « l'idée allemande de prévoir le traitement des crises de dette est juste sur le fond, mais il y a eu une erreur de timing sur la proposition de Deauville. Il n'y avait pas urgence, puisqu'on avait devant nous deux ans et demi pour régler la question de l'après-FESF. Comme on a fait des annonces trop tôt, les discussions n'étaient pas suffisamment avancées, chacun a donné sa propre interprétation, d'où la confusion ». Dans les cercles gouvernementaux allemands, on justifie cette hâte par la difficulté des banques irlandaises, dès septembre, à trouver des collatéraux suffisants.

Cela n'explique, ni n'excuse, des incohérences manifestes. Angela Merkel a ainsi pu dramatiser la situation en déclarant l'euro « dans une situation extrêmement grave », pour, deux jours plus tard, s'affirmer « plus confiante qu'au printemps » en la stabilité de la monnaie unique. Des documents internes ont émergé, évoquant l'introduction des clauses d'action collective dès 2011, quelques jours après que cinq ministres des Finances de l'UE eurent exclu toute modification des règles avant 2013. Berlin s'est alors contenté d'expliquer que le travail était encore « en cours ». Moyennant quoi les « spreads » se sont envolés.

Comment expliquer une telle gaucherie ? La nécessité de convaincre une opinion allemande inquiète de la stabilité de la monnaie ? La crainte d'un nouveau parti politique eurosceptique à la droite de la CDU ? Pas vraiment, selon Claire Demesmay, de l'Institut allemand de politique étrangère : « Le contexte intérieur allemand entre beaucoup moins en ligne de compte qu'il y a quelques mois. » La chancelière va bien faire face à sept élections régionales en 2011. Mais elles se décideront sur des enjeux locaux. Qui plus est, l'opinion paraît beaucoup plus amène à l'égard des Irlandais qu'à l'égard des Grecs. Comme l'explique Hans Stark, du Comité d'études des relations franco-allemandes, « la perception du modèle irlandais est très différente. Les critiques portent plus sur le gouvernement, qui a échoué à superviser ses banques, que sur le peuple. A l'inverse, dans la crise grecque, vous aviez une véritable attaque contre le modèle grec, les retraites anticipées, la croissance financée à crédit, le trucage des chiffres… ».

Angela Merkel cherche-t-elle alors à donner des gages au Tribunal constitutionnel, qui doit rendre au premier semestre 2011 son arrêt sur la validité du FESF ? S'agit-il de lui démontrer que l'on ne prend pas la voie d'une « union de transferts », dans laquelle les pays riches paieraient pour les plus pauvres ? Rien n'empêchait la chancelière de négocier en toute discrétion et de revendiquer ses avancées après le Conseil européen de décembre.

Les Allemands auraient-ils un problème de compréhension des marchés ? « La géographie allemande, dans laquelle la capitale politique est éloignée de la place financière, ne facilite pas forcément la communication, estime Jean Pisani-Ferry. Mais ce qui me semble plus déterminant, c'est que les Allemands n'ont pas, ou plus, l'expérience des crises. A l'inverse des Finlandais, des Suédois, qui ont traversé de sérieux coups de tabac dans les années 1990, ils n'en ont plus connu depuis des décennies. Le personnel politique est moins prêt à en affronter une nouvelle. »

Soit. Mais on peut aussi voir les choses sous un jour, plus… « machiavélique ». Ainsi, Sylvain Broyer, chez Natixis, trouve, lui, que « la communication d'Angela Merkel se lit assez bien. Elle poursuit deux objectifs. D'abord faire baisser l'euro - et elle y parvient. Ensuite, puisque ses partenaires ne veulent pas, d'eux-mêmes, se plier à l'exercice de consolidation budgétaire, ou du moins pas aussi vite qu'elle le souhaite, elle utilise les marchés pour les mettre sous pression. C'est de la realpolitik. C'est très déplaisant pour ceux qui sont visés, mais compte tenu de la vigueur de la reprise outre-Rhin, après toutes les critiques faites sur le modèle exportateur, les Allemands pourraient se montrer bien plus directifs encore, ce qu'ils sont par culture ». La chancelière ne jouerait-elle pas alors à l'apprenti sorcier ? On ne peut exclure que les choses dérapent. Angela Merkel ne contrôle pas la charge d'intérêt que les marchés imposent aux pays les plus faibles, par exemple. Mais elle sait qu'elle a un filet de sécurité : la BCE, qui serait « contrainte de monétiser la dette publique d'un pays en crise, si besoin était », estime Sylvain Broyer, qui ajoute, toutefois : « Cela ne veut pas dire du tout que la stratégie allemande est la meilleure. Il faut absolument, en parallèle, réfléchir au futur de l'Europe, qui passe par une politique fiscale commune. » Or, on ne semble pas vraiment en prendre la voie. Jean Pisani-Ferry souligne qu'avec le mécanisme permanent, « une forme d'assurance se met progressivement en place. Si elle se maintient à des taux acceptables, on pourra parler d'une forme de solidarité. Mais j'observe dans le débat actuel une grande résistance à toute idée de solidarité financière basée sur des transferts permanents. On est très loin de l'idée, par exemple, d'un budget fédéralisé ».

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