Plus tôt cette année, à l’autre bout de la Méditerranée, sur l’île grecque de Kea, une tour du IVe siècle av. J.C. s’est en partie effondrée sous les yeux des habitants, en dépit des avertissements répétés du département local d’archéologie.
La nouvelle que trois autres murs [après l'effondrement début novembre de la Maison du gladiateur] s’étaient désintégrés à Pompéi début décembre a fait le tour du monde. Mais l’église de Castille et la tour en mer Egée viennent nous rappeler que la ville sur les pentes du Vésuve n’est pas le seul site d’Europe du Sud où sont menacés des trésors archéologiques, culturels et historiques.
On a toujours attribué les manquements dans le secteur de la conservation au déséquilibre existant entre le fabuleux patrimoine culturel du Sud de l’Europe et les ressources comparativement limitées dont disposent les gouvernements de la région. L’Italie compte plus de sites inclus dans le patrimoine mondial de l’Unesco que tout autre pays, et l’Espagne est la suivante sur la liste.
Le financement espagnol de la culture a déjà chuté d'un tiers
Mais aujourd’hui, après des décennies de prospérité relative et de financements plus généreux, la région est confrontée à une nouvelle menace : de l’Atlantique à la mer Egée, les Etats, s’efforçant de rééquilibrer leurs finances publiques et de juguler leur dette, procèdent à des coupes sombres dans les budgets de leurs ministères de la culture et du patrimoine.C’est une région où les statistiques ont la triste réputation d’être douteuses : le financement du patrimoine se retrouve souvent dans le même sac que les arts et, en Espagne particulièrement, le financement destiné aux œuvres de conservation est réparti à plusieurs niveaux de l’Etat.
Mais l’exemple du Portugal, plus centralisé, permet de se faire une idée de l’étendue de ces réductions. La semaine dernière, Lisbonne a voté un budget d’austérité pour 2011 qui réduit de 9 % les fonds publics alloués à la culture.
En Espagne, les associations de défense du patrimoine affirment que dans certaines régions, le financement de la culture a déjà chuté d’un tiers. Dans le même temps, l’éclatement de la bulle immobilière du pays a privé la conservation des édifices anciens d’une source importante de liquidités — les sommes déboursées par les promoteurs qui souhaitaient construire du neuf. “Si cet argent se tarit, alors les autorités locales vont dire qu’elles doivent dépenser pour les gens plutôt que pour les bâtiments,” déclare Javier Ruiz, architecte et activiste.
Le mois dernier, en Italie, des musées, des galeries d’art et des sites du patrimoine ont fermé dans le cadre d’une journée de grève pour protester contre les projets du gouvernement, qui prévoit d’écrémer le budget national de la culture de 280 millions d’euros au cours des trois prochaines années. Alessandra Mottola Molfino, présidente de l’association italienne Italia Nostra, y voit “un coup mortel pour notre patrimoine”. Or, ces réductions sont-elles vraiment indispensables ?
A Pompéi, on suit des directives des années 1970
En Grèce, qui se trouve au cœur de la tourmente de la dette en Europe, le ministère de la Culture a annoncé la semaine dernière qu’il faisait appel à Bruxelles pour combler les brèches, réclamant 540 millions d’euros pour restaurer sites archéologiques et monuments et pour rénover les musées, dont beaucoup ont dû fermer leurs portes à cause de la crise.Ailleurs, d’aucuns prétendent que la crise pourrait servir de stimulant en faveur d’une plus grande efficacité de la part des autorités et d’une implication plus constructive du secteur privé. “Ce n’est pas un problème d’argent, explique Roger Abravanel, auteur basé à Milan et avocat de l’économie de marché. Les conservateurs professionnels — des gens qui à la fois comprennent la culture et savent qu’il faut la rendre accessible au public —, ici, ça n’existe pas. En Italie, nous suivons un modèle complètement différent où les autorités sous-traitent aux sociétés qui ont organisé des expositions.”
Un défenseur du patrimoine qui a préféré garder l’anonymat assure que Pompéi est loin de manquer de fonds. “Depuis 1997, l’agence nationale qui gère le site a récolté beaucoup d’argent car c'est elle qui reçoit directement les fonds. Mais elle ne dispose pas de mécanismes de gestion assez réactifs. Le personnel est placé sous le contrôle direct du ministère à Rome, et c’est un système rigide. En vingt ans, il n’y a eu aucun renouvellement, avec pour conséquence que l’on a ici des responsables qui travaillent en fonction de directives qui datent des années 70.”
Les relations troubles entre secteur public et privé
La crise a aussi braqué les projecteurs sur la relation souvent trouble en Europe du Sud entre secteur public et privé. Pourtant, il a longtemps été difficile d’impliquer les entreprises. Pendant des années, on a cru que c’était parce que l’Italie ne proposait pas les généreux aménagements fiscaux dont bénéficient les sponsors éventuels dans les pays anglophones.Mottola Molfino estime que les nouvelles règles mises en place ces dix dernières années ne pâtiraient pas d’être simplifiées. Mais, comme tant d’autres en Europe du Sud, elle se méfie encore de la volonté de l’Etat de confier au secteur privé la responsabilité de préserver le patrimoine national du pays. “Ça devrait être un devoir et un honneur,” lance-t-elle.
L’idée que la conservation du patrimoine soit essentiellement l’affaire des autorités est semble-t-il aussi très répandue parmi les chefs d’entreprise qui, de toute façon, ont vu leurs bénéfices rognés par la crise économique mondiale.
Il n’y a probablement pas de monument plus célèbre en Europe du Sud que le Colisée. Mais comme beaucoup d’autres édifices romains antiques, il a un besoin urgent d’être restauré. L’été dernier, le ministère italien de la Culture, anticipant les réductions dont il allait être l’objet, a fait savoir qu’il recherchait des sponsors pour couvrir en partie un programme de travaux de 25 millions d’euros.
Diego Della Valle, fondateur de la chaîne de maroquinerie et de chaussures Tod’s, a été le premier magnat à répondre à l’appel. Et jeudi dernier, il s’est avéré qu’il était le seul. Della Valle a courageusement annoncé que sa société prendrait l’intégralité de la facture à sa charge. Sinon, a-t-il conclu, l’Italie courait le risque “d’un autre Pompéi”.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire