A son arrivée au Kremlin, en mars 2008, Dmitri Medvedev divise les analystes. Est-il un figurant, une marionnette, ou un dirigeant en devenir, que la fonction va transcender ? En septembre 2009, un article audacieux du président intitulé "En avant la Russie !" est perçu par certains comme un premier défi lancé à Vladimir Poutine. Pas par l'ambassade. "L'article est moins une rupture avec le passé poutinien qu'une tentative d'en modérer les excès."
Le 27 novembre 2009, l'ambassade souligne à nouveau "la division du travail" entre les deux hommes, malgré les frictions entre leurs conseillers : "la modernisation économique" pour le président, le "langage de la rue" pour le premier ministre contre "les oligarques et les critiques."
Plus les mois passent, et plus les diplomates américains se montrent sévères au sujet de Dmitri Medvedev, qui se contente de mots doux aux oreilles occidentales. Poutine, lui, se désengagerait de son travail au quotidien, laissant les affaires courantes à son premier vice premier ministre, Igor Chouvalov. "Au vu de l'histoire russe et des dynamiques actuelles du tandem, le format bicéphale de direction en Russie n'est pas destiné à être permanent", résume une note, le 5 février 2010.
Quelques jours plus tôt, dans une discussion informelle rapportée aux Américains, M. Medvedev a été interrogé sur ses vœux de carrière, en cas de départ du Kremlin. Sa réponse : président de la Cour constitutionnelle ou premier ministre. L'incertitude demeure pour 2012.
L'ambassade souligne, le 15 juin, qu' "aucune des institutions conçues pour protéger les intérêts des citoyens n'a fonctionné : syndicats, partis politiques, et même des institutions d'Etat comme le Service fédéral anti-monopoles". En cause aussi, les gouverneurs, qui sont "moins jugés sur leur efficacité comme leaders ou leur capacité à résoudre les problèmes locaux que par leur soutien résolu aux autorités centrales".
Pikalievo "a servi à confirmer les stéréotypes" sur MM. Poutine et Medvedev. "Medvedev est un homme de paroles, frayant avec les hommes d'affaires occidentaux" tandis que Poutine "est un homme d'action, réglant leurs comptes aux oligarques dans les provinces." D'action, ou d'images télévisées ? Dans une autre note, à la mi-novembre 2009, l'ambassade rappelle qu'en 2006, "au pic du contrôle de Poutine dans une économie en plein essor, la rumeur circulait dans l'administration présidentielle que jusqu'à 60% de ses ordres n'étaient pas exécutés."
Cette intrusion ne va que dans un seul sens : pas question pour les grands hommes d'affaires de gêner le pouvoir central. Les poursuites engagées contre l'ancien patron du groupe pétrolier Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, déjà condamné à huit ans de prison, sonnent comme un avertissement. "Il est communément admis que Khodorkovski a violé les règles du jeu tacites : si vous ne vous mêlez pas de politique, vous pouvez vous remplir les poches autant que vous voulez ", résume l'ambassade, le 30 décembre 2009.
L'Etat ne porte pas seul la responsabilité d'un système politique déficient. L'ambassade s'intéresse aussi aux carences de la société civile. Fin décembre 2006, les diplomates américains soulignent les faiblesses structurelles des ONG russes. La nouvelle génération d'activistes, rompus aux méthodes modernes, est trop famélique.
Les vétérans des droits de l'homme de l'époque soviétique "continuent de jouer un rôle leader disproportionné", note l'ambassade. Elle s'interroge aussi, le 1er avril 2009, sur le conservatisme des classes moyennes, "politiquement inertes", "formatées par une pensée hiérarchique" et "largement allergiques au risque". Cette tendance expliquerait le soutien dont bénéficierait le tandem Poutine-Medvedev.
Un des nœuds de cette corruption se trouve là où sont concentrés 80% des investissements : dans la capitale. Le 12 février 2010, l'ambassade livre une analyse crue du fonctionnement de la mairie de Moscou, dirigée par Iouri Loujkov.
"Loujkov supervise un système dans lequel il semble que chacun ou presque à tous les niveaux est impliqué dans une forme de corruption ou d'activité criminelle. Le dilemme de Poutine et Medvedev est de décider quand Loujkov devient plus un risque qu'un atout." Sept mois plus tard, en septembre, Iouri Loujkov est débarqué.
Piotr Smolar
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