Je laisserai le soin aux 65 millions de sélectionneurs de l’Equipe de France de foot de commenter le “bank run” organisé par Eric Cantona pour me concentrer sur la relation entre le risque bancaire européen et l’avenir de l’euro.
Je relisais l’autre un jour un papier daté de 2000, opportunément intitulé « How long did it take the United States to become an optimal currency area » ? (1) Combien de temps a-t-il fallu pour que les Etats-Unis deviennent une union monétaire viable ? La réponse est effrayante à première vue puisque, selon l’auteur, pas moins de 150 années, émaillées de crises bancaires régionales, ont été nécessaires pour établir une véritable union monétaire.
L’inadéquation des institutions européennes face aux chocs régionaux et l’absence de fédéralisme budgétaire est une raison de la défiance des Américains vis-à-vis de l’euro. Aussi, comme l’a parfaitement rappelé Max Dethomas, bien qu’intrinsèquement liée aux déficits budgétaires, des balances des paiements aux bulles immobilières, etc… la crise européenne est accentuée par la problématique bancaire. Plus précisément, les engagements bancaires entre les pays « core » et les pays « non-core » s’élèvent à plus de 700 milliards d’euros, selon les statistiques de la Banque des Règlements internationaux.
Pressé, pour des raisons très probablement liées à la santé de l’économie allemande, d’en finir avec sa politique monétaire non-conventionnelle, l’Institut monétaire européen continue de garantir l’accès à la liquidité des banques grecques, espagnoles, portugaises et irlandaises.
Le graphique ci-contre illustre la situation très désagréable dans laquelle se trouve la BCE, forcée de livrer, sans limite de montant, de la liquidité à 1 % à des banques qu’elle juge en partie non viables. La normalisation du marché interbancaire depuis mi-2009 n’est effective que pour les banques des pays « core ». Pour les autres, il existe une « subvention » implicite et subite de la banque centrale. Ceci explique pourquoi la BCE a insisté pour que le plan de sauvetage de l’Irlande incorpore un volet de recapitalisation / restructuration bancaire (10 milliards d’euros).
Le Fond Européen de Stabilisation Financière (EFSF), qui financera à hauteur de 22,5 milliards d’euros le package de 85 milliards alloué à l’Irlande, a été instauré en mai 2010 comme soutien de la stabilité de l’euro et garantie qu’il n’y aurait pas de défaut souverain. L’EFSF émet de la dette pour récolter des fonds qu’il octroie par la suite sous forme de prêts aux pays en difficultés. Sa capacité à lever des fonds à faible coût est fondée sur les garanties apportées par les Etats membres. Les plus grosses garanties (la clef de répartition est fondée sur la participation des pays membres de l’UEM au capital de la BCE) sont assurées par l’Allemagne (119,4 milliards d’euros), la France (89,7), l’Italie (78,8) et l’Espagne (52,4).
Le problème, c’est que plus la crise s’étend à d’autres pays (Portugal, Espagne…), plus la capacité d’action de l’EFSF se réduit comme peau de chagrin… Dans les textes, rien n’interdit un Etat en difficultés financières d’allouer tout ou partie de l’argent reçu à son système bancaire. Malheureusement, les textes autorisent aussi – ce qui paraît normal - un pays à ne plus être membre des garants de l’EFSF lorsqu’il connaît des difficultés financières sévères. Non seulement :
1. Ceci réduit le montant de prêts susceptibles d’être octroyés. Si, après l’Irlande, le Portugal et l’Espagne faisaient appel au FESF, le montant total de prêts maximal serait de 250 milliards d’euros (et non 360 si tous les états membres restaient garants). La somme cumulée des besoins de financement de ces trois pays pour les trois prochaines années s’établit à 63+251+46=360 milliards d’euros. Problème ? Pas vraiment puisque tout prêt de l’EFSF est doublé d’une participation du même montant du FMI. Les besoins seraient donc couverts (d’autant plus qu’il existe un autre mécanisme européen – EFSM, vive les acronymes ! - susceptible d’apporter un financement de 60 milliards d’euros…).
2. Mais cela transférerait le risque résiduel vers les pays « core », dont la dette est davantage soumise à la versatilité des investisseurs non-résidents… En d’autre terme, après avoir servi de valeur refuge, le Bund allemand pourrait aussi subir une pression haussière. Le graphique ci-dessous montre que c’est bien le cas, avec une rupture de la corrélation entre le CDS sur les dettes souveraines européennes (ligne violette) et le taux à 10 ans du Bund (ligne bleue – attention échelle inversée).
La grande question pour les jours et semaines à venir est celle de la contagion de la crise. Aux Etats bien évidemment. Au système bancaire également avec la question de l’implication d’une restructuration bancaire sur les actionnaires et créanciers. L’élargissement du spread entre la dette senior et junior des banques européennes est un signe supplémentaire d’incertitude sur le risque de restructuration bancaire et du qui « paiera ».
La prochaine étape sera probablement celle du défaut, avec des modalités qui devront être spécifiées et détaillées par les pays membres de l’UEM. Pourquoi un défaut ? Un peu de math peut être utile.
Pour que la dynamique de la dette publique d’un pays se stabilise, il est nécessaire que la croissance nominale (g) soit au moins égale à la somme du déficit primaire (d) et de la charge de la dette i*b ou b est le total de la dette publique en pourcentage du PIB. g = d + ib
Avec un déficit irlandais attendu vers 11 % en 2011, une dette publique proche de 100 % et des taux d’intérêt proches de 6 % (pour des raisons « institutionnelles » interdisant les sauvetages au niveau européen, l’EFSF charge un taux d’intérêt « de marché ») et non 9,4 % comme on l’observe actuellement, l’Irlande devrait malgré tout dégager un excédent primaire de 4 % du PIB pour stabiliser son endettement (si la croissance est de 1 %, la cible d’excédent requis serait de 4,8 %, un seuil socialement et économiquement instable pour un pays incapable d’utiliser le levier du change pour booster sa croissance). Le même calcul appliqué à de nombreux pays européens suggère que la crise européenne est non seulement une crise de liquidité (cf. BCE plus haut) mais aussi de solvabilité…
Bref, il semblerait que l’on s’achemine vers un mécanisme de défaut - assez fréquent pour les pays émergents – fondé sur les class actions (une proposition de mécanisme européen de résolution des crises souveraines est disponible sur le site bruegel.org). On devrait s’attendre, dans les jours qui viennent, à une multiplication de calculs sur le taux d’intérêt requis pour couvrir une perte / un haircut de 25/30 % sur les dettes bancaires susceptibles exposées. Si l’accord franco-allemand tient jusque là, cette problématique s’appliquera aux dettes publiques, pour les seules nouvelles émissions, à partir de 2013…
(1) Hugh Rockoff - NBER Historical Paper 124, avril 2000.
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