C'est un produit politique hybride sur lequel les militants socialistes sont appelés à se prononcer ce soir. Elaborée par Benoît Hamon, représentant de l'aile gauche du Parti socialiste, adoptée mardi 9 novembre par le Conseil national, la contribution thématique au projet consacrée à l'« égalité réelle » est moins réaliste que ne le soutiennent les traditionalistes du parti et moins archaïque que ne le prétendent les modernistes du PS. La critique interne n'est pas marginale. Strauss-kahniens pour l'essentiel, une douzaine d'entre eux se sont abstenus lors du vote au Conseil national et, depuis, la contestation s'étend autour d'un projet qui semble ramener le PS à ses vieilles errances, celles d'innombrables promesses ni hiérarchisées, ni « priorisées », ni financées - autrement que par l'affectation de recettes fiscales nées de la croissance. Espoir bien illusoire au vu du niveau d'endettement et de contrainte qui s'imposera à la majorité élue en 2012.
Parmi ces promesses figurent la scolarité obligatoire dès trois ans et jusqu'à dix-huit ans, le triplement du nombre d'enfants accueillis en crèche, un revenu aux jeunes sans formation, l'augmentation des salaires, une aide au départ en vacances pour les jeunes défavorisés… « Etre de gauche, ce n'est pas promettre tant et plus », a réagi François Hollande, ex-premier secrétaire et député de la Corrèze. « Etre de gauche, ce n'est pas être irréaliste », commente à son tour le strauss-kahnien Pierre Moscovici, député du Doubs. Avec cette contribution, c'est, en effet, la ligne idéologique du PS pour 2012 qui commence à se jouer. Or le texte de Benoît Hamon ne dissipe pas l'idée que deux gauches se confrontent toujours, autour de ce projet de l'égalité, central depuis près de cent cinquante ans pour les socialistes français. La ligne de démarcation n'est pas qu'entre réalistes et utopistes. Le rôle dévolu à l'Etat dans la transformation sociale et la place laissée à la société civile, la prééminence des garanties collectives face aux destins individuels, le bon niveau d'intervention entre prévention et réparation des inégalités : voilà quelques autres lignes de fracture visibles.
Dans la forme, pourtant, ce texte sur l'« égalité réelle » se veut aussi synthétique que possible. Son intitulé même ne fait-il pas référence à celui d'une épaisse note remise en juillet 2004 à la Fondation Jean-Jaurès - un think tank très proche du PS -par Dominique Strauss-Kahn ? Dans ce document sous-titré « Eléments pour un réformisme radical », l'ancien ministre de l'Economie et des Finances ne se contente pas d'opposer l'égalité « réelle », celle des conditions sociales, à l'égalité « formelle », celle des droits sociaux. Il en tire les conséquences sur l'évolution de la pensée socialiste : « Passer de la compensation en aval des inégalités - la logique de l'Etat-providence -à une logique de correction en amont, concentrer les moyens sur ceux qui en ont le plus besoin, donner plus de capital public à ceux qui ont moins de capital social ».
« Agir à la racine des inégalités », « agir pour l'égalité des conditions » : ces têtes de chapitre (ou de sous-chapitre : « faire de l'orientation un temps d'émancipation ») du texte de Benoît Hamon, qui définissent quelques-uns des principes d'action du PS, font directement écho à l'approche strauss-kahnienne du combat pour l'égalité. Mais cette ouverture vers l'aile modérée du parti s'arrête aux têtes de chapitre. « Il y a une petite musique strauss-kahnienne, mais les paroles ne le sont pas », résume assez justement Pierre Moscovici. De fait, en complément de la critique première, écrasante, sur l'angélisme de cette boîte à outils, tous plus onéreux les uns que les autres sinon irréalistes (retour aux IUFM, suppression des zones franches urbaines…), le reproche formulé à l'encontre de ce projet thématique socialiste est d'en rester, derrière un modernisme de façade, à des moyens très « vieille gauche » de lutte contre les inégalités.
Ainsi, même s'il est envisagé de créer des « accompagnateurs » d'élèves, les propositions en matière d'éducation privilégient la réalisation de réformes collectives, par niveau de formation (concentration de moyens sur le primaire, allocation d'études pour les bacheliers…), ou par territoire (vingt élèves maximum par classe dans les établissements en zone d'éducation prioritaire). Une approche strauss-kahnienne, elle, ferait une part plus grande à la promotion des parcours individuels. « Un enfant en difficulté doit recevoir plus de la collectivité, quelles que soient ses origines sociales, quel que soit le territoire où il habite. Bien sûr, (ils) viendront surtout des familles défavorisées […] mais l'enfant en difficulté issu d'un environnement privilégié mérite tout autant l'attention publique », écrivait l'actuel directeur général du FMI dans sa note à la Fondation Jean-Jaurès.
L'originalité du paradigme strauss-kahnien est de concilier une égalité de destins avec un égalitarisme de la redistribution. Elle laisse une place de choix à la capacité de chacun à s'émanciper de sa condition. Ce n'est pas exactement la vision reflétée par le texte de Benoît Hamon. Partisan d'une marche forcée vers l'égalité, le porte-parole du parti défend noir sur blanc « l'égalité des places » plutôt que « l'égalité des chances ». Aussi n'est-il guère surprenant de le voir faire de l'Etat sous toutes ses formes (-providence, -stratège, -employeur…) l'agent quasi exclusif de la réduction des inégalités. Symptomatique est, à cet égard, la proposition de financer par un investissement « national massif » le triplement en dix ans du nombre de places en crèches, politique qui relève pourtant des collectivités locales. Les territoires, les corps intermédiaires, les associations sont au mieux ravalés par le PS au rang de « partenaires » d'un « Etat prévoyant et stratège », presque jamais considérés comme moteur de l'égalité réelle. Pour n'être plus totalement archaïque, la pensée socialiste officielle est encore bien loin du réalisme.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire