TOUT EST DIT

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mardi 9 novembre 2010

Un vrai besoin de protection sociale

Dans la montagne, deux groupes de marcheurs avancent dans la même direction. Ils montent et ils descendent en même temps. Mais le premier groupe a pris un sentier plus haut. Et, plus ça va, plus l'écart entre les deux groupes grandit. Ces trajectoires sont celles que dessinent aujourd'hui pays émergents et pays développés avec leurs courbes de croissance. Pendant les années 1990, les deux avançaient au même pas. Au cours de la dernière décennie, ils se sont séparés. Ils freinent et accélèrent ensemble - autrement dit, ils restent synchronisés. Aucun « découplage », pour reprendre un mot qui fut à la mode. Mais ils s'éloignent. En 2009, année de la grande récession, la production a reculé de 3,2 % dans les pays « avancés » (chiffres et terminologie FMI), mais elle a progressé de 2,5 % dans les économies « émergentes et en développement ». Cette année, l'activité aura progressé de moins de 3 % au Nord et de plus de 7 % au Sud. En 2011, un léger ralentissement est prévu dans les deux groupes.

Un écart durable de croissance, de l'ordre de 5 % par an, est rare. Les pays du Sud semblent avoir enfin trouvé un chemin qui ne débouche pas sur une crevasse. Et s'ils étaient tout simplement sur la voie du rattrapage, celle qui assure les plus belles croissances, comme on l'avait vu en France lors des Trente Glorieuses et au Japon dans les années 1970-1980 ? Si l'on regarde non plus les taux de croissance mais les niveaux de vie, cet effet rattrapage est évident : les émergents sont bien au-dessous des pays anciennement industrialisés ; ils s'en rapprochent en accélérant le pas. Le revenu par tête sera cette année de 41.000 dollars aux Etats-Unis, 35.000 dollars en Allemagne, 34.000 en France, un peu moins de 30.000 en Italie, en Espagne et en Corée du Sud, et de seulement 16.000 en Russie et en Argentine, 15.000 en Malaisie, 14.000 au Mexique, 11.000 au Brésil et en Afrique du Sud, 8.000 en Chine, 5.000 au Maroc, 4.000 aux Philippines ou en Indonésie et 3.000 en Inde (chiffres FMI 2010, en taux de change assurant la parité du pouvoir d'achat). Cours camarade, le nouveau monde est derrière toi !

Cette croissance à la fois soutenue et durable est précieuse. D'abord parce qu'elle tire de la misère des millions d'hommes et de femmes. Ensuite, parce qu'elle contribue à l'activité mondiale - la croissance n'est pas un jeu à somme nulle. Mais elle est loin d'être assurée. Dans le passé, de belles échappées des pays émergents ont fini dans l'abîme. Patrick Artus, l'économiste en chef de Natixis, souligne une série de failles où pourraient tomber certains pays : entrées massives de capitaux qui déséquilibrent le change et le crédit, épargne mal placée (Chine), risques d'inflation (Argentine, Russie), forte dépendance à l'égard des pays développés (Europe centrale), capacités de production insuffisantes.

Beaucoup de ces fragilités touchent d'une manière ou d'une autre à l'épargne. Ce qui renvoie à la faiblesse de la protection sociale, qui pousse à mettre de l'argent de côté (sauf dans quelques pays comme la Turquie ou l'Afrique du Sud). Les dépenses de sécurité sociale absorbent 14 % du PIB dans les pays développés contre 5 % en Amérique latine et 1 % en Asie et en Afrique. Les pensions de retraite font 2 % du PIB dans les pays émergents contre 9 % dans les pays de l'OCDE (chiffres calculés par deux économistes du Bureau international du travail, Megan Gerecke et Naren Prasad, « Social Policy in Times of Crisis », Voxeu.org, 10 octobre 2010). Dans ses dernières perspectives économiques, le FMI prône d'ailleurs « le renforcement des dispositifs de protection sociale dans les principaux pays asiatiques ». C'est nécessaire non seulement pour étayer le sentier de croissance des émergents, mais aussi pour éviter l'accumulation d'excédents massifs d'épargne qui valdinguent d'un bout à l'autre de la planète au risque de tout casser. Le rééquilibrage de l'économie mondiale, qui sera au coeur du sommet du G20 jeudi et vendredi, passe par la montée en puissance d'une vraie protection sociale dans le monde en développement.

Reste à savoir comment faire. Le modèle scandinave coûte cher et repose sur le respect strict des règles. Le modèle français, perclus de déficits et de blocages, paraît difficilement vendable. Les modèles américain et britannique sont aussi à bout de souffle. Ici, les pays émergents devront trouver une nouvelle voie.

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