TOUT EST DIT

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mardi 9 novembre 2010

Obama 2.0 et le piège de la cohabitation

Si prévisible et si déroutante à la fois, sa « déculottée » du 2 novembre oblige Barack Obama à réviser sa trajectoire. Il l'a lui-même reconnu, ce week-end, en démarrant sa tournée asiatique en Inde. Prévisible car les sondages d'une fiabilité agaçante l'annonçaient depuis plusieurs mois. Déroutante car la volatilité de l'électeur américain, à deux ans d'intervalle, rend ardue toute analyse du scrutin et tout pronostic péremptoire pour 2012. Certains démocrates tentent de se rassurer en invoquant les précédents de Reagan et de Clinton, qui ont remporté haut la main un second mandat, deux ans après leurs revers de mi-parcours. Mais, même si le taux de participation de 42 %, conforme à la moyenne des élections de mi-mandat, fausse un peu la lecture des résultats, nul doute que le 2 novembre de Barack Obama laisse présager une révision drastique. D'une certaine manière, même s'il a tout fait pour s'en démarquer, l'« anti-Clinton » va devoir tirer les leçons de la « correction de route de Bill », s'il veut éviter un enlisement à la Jimmy Carter.
« C'était un vote protestataire. Les gens sont mécontents de l'état de l'économie, mécontents de l'échec du président à remettre l'économie sur les rails », résume l'analyste politique Stanley Greenberg. Pour cet ancien conseiller de Bill Clinton, ceux qui y voient un glissement idéologique de l'opinion se trompent. Simple accident de parcours lié à l'état délétère de l'économie et à un niveau de frustration momentané ? La thèse est tentante. Après tout, la percée du mouvement populiste du Tea Party au Congrès reste relativement modeste. Et la plate-forme antidéficit des républicains ne brille ni par son originalité ni par son réalisme. Pourtant, à en juger par l'ampleur du transfert de sièges à la Chambre, le plus important depuis 1948, on sent bien que la portée du revers dépasse celle d'un coup de semonce. Selon l'analyse détaillée du vote publiée par le « New York Times » du 7 novembre, le Parti démocrate a perdu du terrain auprès de la plupart des groupes démographiques : femmes, retraités, jeunes diplômés, sans compter les « indépendants » (centristes) qui avaient joué un rôle clef dans la victoire de Barack Obama il y a deux ans et se sont largement reportés sur les candidats républicains. Pour la première fois depuis 1982, une majorité de femmes a voté pour le Parti républicain, alors que les démocrates jouissaient d'une avance de 14 points auprès de l'électorat féminin il y a deux ans. Nul doute aussi que le scrutin du 2 novembre est autant « son » revers que celui des élus démocrates.
Face à ce que l'éditorialiste du « Time », Fareed Zakaria, appelle ironiquement la « troisième révolution républicaine » (après celle de Reagan en 1981 et de Newt Gingrich en 1994), Barack Obama a explicitement reconnu, ce week-end, qu'il va devoir procéder à des « corrections et des ajustements de mi-parcours ». Il est allé jusqu'à qualifier de « sain » le renouvellement d'une partie du Congrès, même si sa majorité en a largement souffert. Dans un entretien au « New York Times », deux semaines avant les élections, pour mieux préparer le recadrage « Obama 2.0 », selon l'expression d'un conseiller de la Maison-Blanche, le président démocrate avait déjà reconnu avoir commis plusieurs erreurs tactiques (1). Tout en admettant avoir sous-estimé les rigidités et les pesanteurs de la machine de Washington, il a convenu que la composante des baisses d'impôts au sein du plan de relance était sans doute inutile. En recadrant les conséquences de son revers électoral sur le terrain des « ajustements », le président démocrate veut éviter le piège d'une cohabitation hostile que lui tendent déjà les vainqueurs du 2 novembre. Comme Bill Clinton en 1994, l'objectif d'Obama 2.0 est de tout faire pour éviter une guerre idéologique frontale en se déclarant prêt à composer avec les républicains sur l'emploi et la réduction du déficit. Tout faire pour éviter le piège d'une cohabitation houleuse qui ruinerait ses efforts d'ajustements. Mais la plate-forme jusqu'au-boutiste des républicains lui laisse a priori une marge de manoeuvre très limitée. D'autant que leur stratégie déclarée sera moins de négocier des solutions bipartisanes que de tout faire pour empêcher Barack Obama de remporter un deuxième mandat.
Après le traumatisme du 2 novembre, nombre d'analystes jugent désormais que Barack Obama n'a d'autre issue que de « sortir un Clinton de sa manche » (« to pull a Clinton »), c'est-à-dire se replier sur un programme modéré, sinon centriste, jusqu'en 2012. A la différence près que la situation économique est nettement plus tendue, avec un niveau de chômage presque deux fois plus élevé qu'à l'automne 1994 (9,6 % aujourd'hui contre 5,6 % à l'époque). Contrairement à l'ancien gouverneur démocrate centriste de l'Arkansas, rompu à l'art des compromis avec ses adversaires conservateurs, Barack Obama n'est pas forcément un champion de la « triangulation ». Et, face aux nouveaux chantres du Tea Party, tel le sénateur du Kentucky, Rand Paul, qui n'aime rien tant que de citer Thomas Jefferson : « le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins », Obama 2.0 aura du mal à décréter, tel Bill Clinton en janvier 1996, que l'ère du « big government » est révolue. Au contraire, il y a fort à parier qu'il fera tout pour sanctuariser la réforme de l'assurance-santé dont il a fait le fer de lance de sa première partie de mandat.
La voie est donc étroite pour 2012. Pour Barack Obama, la priorité sera, au bout du compte, de chasser l'insidieux soupçon qu'il pourrait avoir été meilleur candidat que président en exercice. En prouvant aussi que son sens tactique est à la hauteur de son ambitieux agenda.
(1) « New York Times Magazine »du 17 octobre 2010, « The Education of a President ».Pierre de Gasquet est correspondant des « Echos » à New York

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