TOUT EST DIT

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lundi 29 novembre 2010

A la table de l’ours

 L'appel de Vladimir Poutine pour la création d'une communauté économique harmonieuse qui irait de Lisbonne à Vladivostok a été accueillie en Europe avec scepticisme. Selon plusieurs commentateurs, ce ne serait qu’un rideau de fumée, un cadeau empoisonné par lequel Moscou tente d'attirer l'UE dans ses filets. Rien d'étonnant : en Europe la russophobie a des racines qui remontent au moins au XIXe siècle, renforcées par les pays d'Europe centrale qui aussitôt après leur entrée dans l’UE en 2004 ont contribué à torpiller - avec la bénédiction des Etats-Unis - la tentative russe d'établir des relations privilégiées avec la France et l'Allemagne. La défiance des pays de feu le pacte de Varsovie est plus que compréhensible.
Dans les relations internationales les facteurs émotionnels sont souvent déterminants, mais ce sont presque toujours les rapports économiques qui décident. Or, de ce point de vue, la Russie, qui a vu brusquement diminuer les recettes de ses exportations de matières premières après la crise, a un besoin urgent de reconvertir son économie.


La coopération avec l'Union marque donc une nouvelle orientation, pour des raisons structurelles, mais pas seulement : le pouvoir des oligarques de l'énergie est en train de se fissurer et la voix de ceux qui veulent une normalisation des rapports avec l'Europe au nom de l'héritage historique et culturel commun se fait désormais mieux entendre. Comme l'a écrit l’influent analyste Sergueï Karaganov, "il n'existe pas pour la Russie d'alternative au rapprochement politique et social avec l'Europe. Sans l’Europe nous ne serions pas Russes". Cette nécessité a déjà poussé la Russie à faire des pas en avant tout à fait surprenants, comme à l'occasion du sommet de l'OTAN de Lisbonne et de la condamnation du massacre de Katyń.
L’élection présidentielle de 2011 opposera presque certainement Poutine à Dmitri Medvedev, qui a fait de l'ouverture à l'Ouest un des principes majeurs de sa présidence. Dans cette optique, le changement d'attitude de Poutine mérite une grande attention : pour les deux candidats l'UE pourrait devenir un terrain commun plutôt qu'un critère de différentiation. Ce ne sont pas seulement les grandes possibilités offertes par le marché russe qui sont en jeu. C'est aussi la perspective d’atténuer les rivalités avec l'Europe orientale et de les encadrer dans une compétition économique et politique "normale".
Enfin, il s’agit surtout d'éviter que la Russie ne glisse inexorablement vers l'alternative chinoise, ce qui contribuerait à déplacer vers l’Est l’axe de l’économie globale. Les sceptiques ont raison lorsqu'il mettent en garde contre les clauses écrites en petits caractères : le risque d’être échaudés est bien réel, mais comme le démontrent les vicissitudes des gazoducs Nord Stream et South Stream, si les pays de l'UE continuent à vouloir gérer seuls les relations avec Moscou, ce ne sera pas sans dommage. l'Europe a en mains de bonnes cartes et ne doit pas avoir peur de jouer à la table de l’ours, à condition de savoir imposer ses propres règles.

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