Un Premier ministre reconduit qui promet encore et toujours la rigueur… Pas de doute, François Fillon fait de plus en plus penser à Raymond Barre, qui pilota le gouvernement pendant cinq ans - un bail auquel l'actuel locataire de Matignon peut désormais rêver. Mais alors… si François Fillon est Raymond Barre, le président Nicolas Sarkozy serait-il le président Valéry Giscard d'Estaing ?
A priori, l'idée paraît absurde. Tout semble opposer les deux hommes, l'aristocrate auvergnat de fraîche noblesse et le descendant d'une vieille lignée de nobliaux hongrois, le grand flegmatique et le petit nerveux, l'ancien haut fonctionnaire X-ENA et l'avocat recalé à Sciences po, l'inspirateur de l'UDF et son contempteur, le skieur qui dévalait les pentes et le cycliste qui les grimpe, l'ami proche du chancelier Helmut Schmidt et le copain distant de la chancelière Angela Merkel, le romancier académicien et l'essayiste historique ou religieux. Non, décidément, rien ne les rapproche. Et pourtant…
La V e République a fabriqué trois types de monarques républicains : ceux qui ont présidé la France, ceux qui ont gouverné les Français et ceux qui ont voulu réformer le pays. Charles de Gaulle incarnait bien sûr la première catégorie. Il aimait passionnément la France, beaucoup moins les Français. Il a piloté le pays comme un capitaine dirige un navire vers des horizons nouveaux, de haut, d'une main ferme. Homme d'esprit et de plume comme le général, François Mitterrand s'est malgré tout inspiré de sa bête noire. Il a copié sa distance, son art du « coup d'Etat permanent ». Mais sans avoir sa vision du long terme. Après deux ans, il a dû changer de route, sans retrouver une voie convaincante.
Georges Pompidou, lui, incarne la deuxième catégorie de présidents : il a surtout voulu gouverner les Français. Avec le style clope au bec, que Jacques Chirac affectionnait dans sa jeunesse. Sous le mandat du natif de Montboudif, comme sous les deux mandats de l'ancien maire de Paris, le pays n'a pas beaucoup changé. Il a vécu dans une sorte de modernité ringarde. A sa décharge, Pompidou n'a passé que cinq ans à l'Elysée, rongé par un terrible cancer du sang. Chirac y a passé douze ans, sans faire beaucoup plus.
Valéry Giscard d'Estaing, enfin, incarne la troisième catégorie. Un réformateur dans l'âme, qui voulait emmener la France vers une vraie modernité. Les réformes sociétales de son début de mandat montrent la direction - légalisation de l'avortement, majorité civile à l'âge de dix-huit ans et non plus vingt et un, divorce possible par consentement mutuel… Dans sa campagne électorale en 1974, il avait repris le slogan de Georges Pompidou cinq ans plus tôt - « le changement dans la continuité » -en insistant sur le changement. Au contraire de François Mitterrand, qui promettait « la force tranquille », ou de Jacques Chirac, élu pour « la France en grand », Nicolas Sarkozy voulait lui aussi le changement, la « rupture ». Dans la foulée de son élection, il a fait adopter par le Parlement toute une série de mesures sociétales, comme l'autonomie des universités ou la rationalisation de la carte judiciaire. C'est le premier point commun qui rapproche Nicolas Sarkozy de VGE. Leur but, c'est de changer le pays.
Le deuxième point vient des circonstances : ils ont été l'un et l'autre président de crise. L'année suivant l'élection de Giscard, la France connaît sa plus grave récession depuis la guerre. L'année suivant l'élection de Sarkozy, le pays connaît à nouveau sa plus profonde récession depuis la guerre, plus forte encore que celle de 1975. Un réflexe interventionniste l'a alors emporté sur leur tempérament libéral, que n'avait aucun des autres présidents de la V e. Les deux hommes ont réagi exactement de la même manière : relance par l'investissement à l'intérieur, coordination à l'extérieur. Le premier inventa le G7 et le second le G20…
Leur troisième point, enfin, s'inscrit dans leur style - au-delà des innombrables différences évoquées ci-dessus. Tous deux élus alors qu'ils étaient ministres du gouvernement sortant (à l'inverse, à nouveau, des autres présidents de la V e), ils connaissent bien les rouages du pouvoir. Ils sont aussi à l'aise avec les médias - la télévision en particulier. Au début de leur mandat, ils sont omniprésents, on les voit partout. Jacques Chirac, fougueux Premier ministre de VGE, ne supporte pas cet étouffement. Il claque la porte à l'été 1976. Son successeur, Raymond Barre, joue la modestie en faisant entendre sa petite musique, tout comme François Fillon. La ressemblance des styles présidentiels va au-delà. Leur entourage à l'Elysée reste technicien. Leurs collaborateurs ne deviennent pas ministres - à l'inverse de Charles de Gaulle, François Mitterrand et Jacques Chirac, qui nommèrent à Matignon leur ancien bras droit à l'Elysée (respectivement Georges Pompidou, Pierre Bérégovoy et Dominique de Villepin). Et ils ont voulu assumer un rapport décomplexé à l'argent. Giscard roulait en voiture de sport, Sarkozy est parti en vacances sur un yacht. Les autres présidents de la V e appréciaient le confort que donne l'argent… beaucoup plus discrètement.
Mais il y a un domaine où l'actuel président fera tout pour ne pas suivre les traces de son prédécesseur. Si Charles de Gaulle, François Mitterrand et Jacques Chirac ont tous trois été réélus à l'issue de leur premier mandat, Valéry Giscard d'Estaing, lui, a été battu. Nicolas Sarkozy connaît parfaitement les trois raisons de cette défaite. D'abord, une crise qui s'éternise. Ensuite, une image de défenseur des riches au détriment des classes moyennes. Enfin, une droite divisée, avec un report désastreux des voix au second tour. L'actuel président s'efforce de combattre ces causes. Mais dans ce genre de combat, la réussite n'est jamais assurée.
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