TOUT EST DIT

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jeudi 21 octobre 2010

Réforme des retraites, réforme de la démocratie

c'est un argument répété en boucle, hier encore, par de nombreux manifestants et responsables politiques pour s'opposer à la réforme des retraites : celle-ci serait illégitime car le candidat Nicolas Sarkozy s'était engagé, devant les Français, à ne pas revenir sur l'âge légal de départ à 60 ans. Jeudi dernier, sur le plateau de l'émission « A vous de juger », sur France 2, la première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, a clairement soutenu cette thèse : « Le président de la République est d'autant plus lourdement responsable de l'étouffement démocratique du pays qu'il a dit, pendant la campagne présidentielle et encore un an après : "Je ne toucherai pas à la retraite à 60 ans car je n'ai pas reçu ce mandat des Français." »
Sur la forme, la numéro un du PS a doublement raison. D'abord parce que le chef de l'Etat a lui-même explicitement admis être lié par son projet présidentiel. Invité de RTL le 27 mai 2008 et interrogé sur l'éventualité d'un report de l'âge légal, il explique ainsi son refus : « Je ne le ferai pas pour un certain nombre de raisons et la première, c'est que je n'en ai pas parlé pendant ma campagne présidentielle, ce n'est pas un engagement que j'ai pris pendant ma campagne, je n'ai donc pas de mandat pour faire cela, et ça compte pour moi. » Ensuite, Nicolas Sarkozy n'ayant jamais voulu théoriser la rupture programmatique entraînée par la crise financière, l'opinion peut légitimement considérer que les promesses électorales sont toujours valables.
Enoncée par le chef de l'Etat, endossée par le principal parti d'opposition, cette théorie très restrictive du mandat présidentiel révèle, sur le fond, une conception particulière de la démocratie. Elle n'est, en effet, pas bien éloignée de la notion de mandat impératif, qui est l'une des expressions les plus abouties de la souveraineté populaire. Par opposition au mandat représentatif, le mandat impératif fait de l'élu non pas le libre représentant de la nation tout entière mais le fidèle porte-parole de ses électeurs. Bien qu'il ait été idéalisé par le « Contrat social » (1762) de Jean-Jacques Rousseau - lequel en reconnaissait toutefois la limite pratique -, l'exercice du mandat impératif est généralement moins perçu comme la figure ultime d'une démocratie pure que comme un avatar totalitaire, d'ailleurs apanage des régimes communistes.
Aujourd'hui, c'est sous ce régime très encadré que sont exercés les mandats électifs en Corée du Nord, au Vietnam, en Chine et à Cuba. S'il n'a pas été en usage dans les anciens pays du bloc soviétique, il n'en a pas moins été, pendant plus d'un siècle, à compter de la Commune de Paris où il fut expérimenté en 1871, un modèle de l'idéologique communiste. « Karl Marx en fit la caractéristique de la suprématie des travailleurs, et l'éloge qu'il en fit le plaça au coeur de la construction institutionnelle dans la pensée communiste et, plus tard, dans la pratique politique », lit-on dans un rapport de la « Commission de Venise », commission pour la démocratie par le droit, émanation du Conseil de l'Europe.
Cette notion de mandat impératif est si contraire à l'esprit des démocraties occidentales qu'elle est explicitement rejetée par plusieurs Constitutions européennes, dont celles de l'Italie, de l'Espagne, de l'Allemagne (en ce qui concerne le Bundestag) et… de la France. L'article 27 de la loi fondamentale de la V e République énonce que « tout mandat impératif est nul ». Par rupture avec la pratique des états généraux de l'Ancien Régime, le mandat représentatif est, depuis l'origine, consubstantiel à la République française.
Bien sûr, le débat concerne surtout le mandat parlementaire, bien moins le mandat présidentiel, dont celui qui l'exerce est traditionnellement élu sur un projet. Bien sûr, ni Nicolas Sarkozy, ni Martine Aubry, ni les nombreux responsables politiques qui dénient au président élu le droit de sortir de son projet n'envisagent de changer la nature de notre démocratie représentative. Mais, martelée à l'envi comme un droit de la souveraineté populaire, l'obligation de s'en tenir à sa feuille de route finit par changer la pratique du pouvoir. Nous sommes entrés dans une démocratie contractuelle, où l'électeur n'attend plus de l'élu qu'il fasse ce qui lui semble le meilleur pour le pays, mais ce pourquoi il a été choisi, tout cela et rien que cela. Cette conception de l'élection comme contrat explique que l'opinion puisse, aujourd'hui même, se sentir fondée à dénier toute légitimité au vote, par le Sénat, du projet de loi de réforme des retraites. A l'évidence, la souveraineté populaire prévaut, dans les esprits, sur la souveraineté nationale. Ce phénomène trouve sa source dans une double crise, de méfiance et de défiance.
La méfiance est celle que nourrit, non sans raison, la société française, de même que nombre de sociétés européennes, à l'égard de l'efficacité de l'action politique. En raison de la crise financière, Nicolas Sarkozy fait, comme ses prédécesseurs, la cruelle expérience des limites de la volonté politique en économie mondialisée. La défiance est alimentée par le souvenir encore vif de ruptures trop brutales des engagements pris : la représentation politique n'a pas fini de payer le prix du tournant de la rigueur immédiatement consécutif à l'élection de Jacques Chirac en 1995.
Cependant, les bases du nouveau contrat démocratique ont été posées il y a une trentaine d'années, lorsque, candidat à la présidence de la République, François Mitterrand s'était engagé auprès des Français à mettre en oeuvre 110 propositions, liste inédite de précision, vérifiable et sanctionnable. Derrière le refus du tournant économique de 1983, comme derrière le rejet du recul de l'âge légal de la retraite en 2010, c'est toute la question de l'habilitation à gouverner qui est en jeu. Pour ne plus exposer l'opinion à tant de déconvenues, sans doute faudrait-il expliquer aux Français, en 2012, qu'une élection présidentielle n'est pas un contrat indépassable.

1 commentaires:

horsparti a dit…

Sarkozy a le droit de proposer une augmentation de l’âge de la retraite même s’il n’en a pas parlé en tant que candidat. Il peut s’écarter de sa feuille de route, mais dans une véritable démocratie il devrait soumettre cette décision au référendum. Il devrait d’ailleurs aussi soumettre ce sujet en votation populaire même si cela faisait partie de son programme en tant que candidat. Vous citez l’exemple de Mitterrand qui s’était engagé à mettre en œuvre 110 propositions. Mais il est très peu vraisemblable que la majorité qui a voté pour Mitterrand ait été d’accord avec chacune de ces 110 propositions. Comme en Suisse, le peuple doit pouvoir décider lui-même sur une question aussi importante que l’âge de la retraite.

Voir http://horsparti.blogspot.com/2010/10/quand-les-francais-voteront-ils-sur.html