TOUT EST DIT

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mercredi 19 janvier 2011

Le "trou noir" de la social-démocratie européenne

Aujourd'hui cantonnés au rôle d'opposants dans vingt et un des vingt-sept pays de l'Union européenne, y compris dans les pays scandinaves où ils furent naguère si puissants, les partis sociaux-démocrates et socialistes européens s'interrogent sur leur avenir. Au point qu'un homme comme Massimo d'Alema, ancien président du conseil des ministres italien (1998-2000), a pu lancer, le 15 janvier à Paris, lors d'un colloque organisé par la Fondation Jean-Jaurès, proche du Parti socialiste, que "les socialistes européens, divisés entre les partisans de la "troisième voie" de Tony Blair et les défenseurs de l'Etat providence, ont perdu". Perdu au point de se perdre eux-mêmes ?
Cette question obsède tous les sociaux-démocrates européens. Eperonnés sur leur droite par un mouvement écologique ayant élargi ses bases théoriques de la défense de l'environnement à un nouveau modèle de développement, malmenés sur leur gauche par des partis reprenant l'antienne de la "rupture avec le capitalisme" avec d'autant plus d'entrain qu'ils sont convaincus que la crise économique et financière a commencé de sonner l'hallali de leur plus vieil ennemi, les sociaux-démocrates peinent à redéfinir leur corpus théorique.
Pis, privés un peu partout de l'exécutif politique, ils doivent faire face à la montée de la droite populiste. Comme l'a expliqué l'économiste Daniel Cohen, président du conseil d'orientation scientifique de la Fondation Jean-Jaurès (membre du conseil de surveillance du Monde), "face à la crise, la droite réagit très simplement : elle remet en question l'Etat-providence, réarme la guerre entre les ayants droit de cet Etat-providence et les autres salariés et, à la mondialisation et à ses peurs, répond par le langage de la peur et un discours sécuritaire." En somme, des réponses simples à des questions complexes, un exercice auquel la gauche ne peut, par essence, céder.
Comment une belle idée, forgée au XIXe siècle et ayant connu ses grandes heures, essentiellement en Europe du Nord, dans les années 1960, a pu à ce point perdre de sa force et de son pouvoir d'entraînement ? "La crise économique mondiale et les errements du capitalisme financier prouvent que nous avions raison, dit le socialiste catalan Josep Borrell Fontelles, ancien président du Parlement européen, aujourd'hui président de l'Institut universitaire européen de Florence (Italie). Pourtant, nous avons été mis partout en échec." Ce que Jenny Anderson, professeure à Sciences Po Paris, résume d'une formule terrible : "La social-démocratie est dans un trou noir."
Si le chômage de masse, le recul de la syndicalisation, la volatilité des électorats et l'individualisation de nos sociétés concourent à son affaiblissement, elle le doit d'abord à ses propres erreurs. "Le tournant libéral du socialisme dans les années 1990 a échoué, estime ainsi John Crowley, directeur du Centre interdisciplinaire de recherche comparative en sciences sociales de Saint-Ouen. Celui-ci doit relever plusieurs défis : repenser le capitalisme en dehors de ses relations avec le néolibéralisme ; intégrer les questions écologiques ; reconsidérer l'alliance des classes en menant une réflexion novatrice sur l'égalité à la lumière de la diversité."
Ernst Hillebrandt, directeur du département Europe centrale et de l'Est de la puissante fondation sociale-démocrate allemande Friedrich Ebert, est du même avis : "Le modèle socialiste européen n'existe pas. C'est une utopie qui reste à réaliser. Il ne s'agit plus de gérer la précarité née de la mondialisation. Il faut construire une société de production soutenable, et donc écologique. Face à la précarité, qui veut dire privation de liberté, il faut renforcer l'autonomie des individus et les droits des citoyens et approfondir la démocratie en lui adjoignant des éléments participatifs.""Dignité, équité, responsabilité", telle est la devise qu'Hélène Thomas, professeure à Sciences Po Aix-en-Provence, a proposée aux auditeurs du colloque.
Mais Massimo d'Alema n'a pas paru entièrement convaincu par ces explications. "Le socialisme démocratique est un phénomène européen qui n'a pratiquement pas dépassé les frontières de l'Europe, a-t-il constaté. Il est aussi l'expression politique d'un continent qui perd de son poids et de sa centralité." Et l'ancien chef du gouvernement italien d'enterrer le mot "socialisme", constatant son caractère "inutilisable" aux Etats-Unis comme dans les pays émergents. "Aucune force de transformation sociale, a-t-il souligné, ne se réclame du socialisme dans ces pays..."
Le temps est venu pour lui de "construire une nouvelle coalition progressiste mondiale capable de dépasser les frontières de l'Europe et celles de l'Internationale socialiste". Elle pourrait rassembler "l'Europe, le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud ou les Etats-Unis" afin de confronter les "expériences progressistes" qui y sont menées.
Cela permettrait aux Européens de bâtir "un projet alternatif fort au niveau continental" et de "constituer une coalition des forces de gauche, des écologistes et des démocrates du centre" à même de "défendre les valeurs européennes contre la droite populiste".

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