TOUT EST DIT

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mercredi 19 janvier 2011

Le pain noir des géants allemands de l'énergie

E.ON et RWE, naguère stars de la place de Francfort, ont été les deux lanternes rouges du DAX en 2010. Les deux voisins de Düsseldorf et d'Essen ont perdu environ un cinquième de leur capitalisation boursière en un an. Et leurs actionnaires ne peuvent guère espérer un rebond cette année. Douze ans après une libéralisation qui semblait, à l'origine, osée, mais a en fait accouché d'un oligopole confortable entre E.ON, RWE, Vattenfall et EnBW, les vents sont désormais - durablement -contraires.
Il y a d'abord l'excès d'offre sur le marché européen du gaz, notamment sous forme liquéfiée. Il fait baisser les prix « spot » du gaz naturel, alors que les grands de l'énergie s'approvisionnent, à des tarifs supérieurs, auprès du russe Gazprom, à qui ils sont liés par des contrats de long terme. Pour E.ON, qui s'est offert Ruhrgas en 2003, contre l'avis de l'office des cartels et grâce au soutien du gouvernement Schröder, au grand dam de la Commission européenne, cela devrait se traduire, en 2011, par des pertes au niveau de son activité gazière.
Il y a ensuite la réforme du système européen d'échange de quotas d'émission. Elle prévoit que, à partir de 2013, les quotas, dans le secteur de l'électricité, devront tous être achetés. Une sérieuse ponction pour le secteur - on parle de milliards d'euros. L'addition devrait être particulièrement salée pour RWE, qui possède le plus grand parc de centrales au charbon du pays.
Il faut ajouter à cela l'impôt sur le combustible nucléaire. Le nouveau concept énergétique adopté par le gouvernement en septembre est passé, dans un premier temps, pour une victoire du lobby énergétique. Les opérateurs ont, certes, obtenu un allongement de la durée de vie des 17 réacteurs nucléaires allemands, pour douze ans en moyenne. Une vraie manne. Mais, pour ménager une opinion toujours majoritairement hostile à l'atome, le gouvernement va prélever, en contrepartie, 2,3 milliards d'euros par an jusqu'en 2016. En outre, une épée de Damoclès juridico-politique pèse sur le nouvel accord nucléaire. Des Länder gouvernés par l'opposition réfléchissent en effet à un recours devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, arguant que le Bundesrat, la chambre haute du Parlement qui représente les Etats fédéraux, aurait dû avoir voix au chapitre. Qui plus est, que se passera-t-il si l'opposition parvient à conquérir le pouvoir en 2013, ce qui ne semble pas du tout fantaisiste, à lire les derniers sondages ? Il y a fort à parier qu'une nouvelle coalition de gauche reviendrait sur la « sortie de la sortie de l'atome », comme on dit en allemand.
Autre casse-tête pour les états majors : l'opposition croissante de la population aux nouvelles infrastructures énergétiques. La nouvelle centrale à charbon d'E.ON, à Datteln, près de la frontière néerlandaise, en offre un exemple spectaculaire. Suite à une décision de justice de 2009, le chantier est partiellement gelé, au motif que la procédure d'autorisation n'a pas pris suffisamment en compte la protection de la nature et celle de la population. E.ON, qui répète à l'envi que la nouvelle centrale sera l'une des plus « propres » d'Europe, espère résoudre l'imbroglio juridique dans les mois qui viennent et relier la nouvelle unité au réseau en 2012. Mais le groupe ne devrait pas sous-estimer la persévérance d'opposants toujours plus déterminés à mettre des bâtons dans les roues d'opérateurs devenus impopulaires.
Les initiatives citoyennes ne concernent pas que les centrales, mais aussi les expérimentations de séquestration de carbone, comme a pu le constater Vattenfall à propos de son site de Jänschwalde, dans le Brandebourg. « Nous ne voulons pas devenir la poubelle à CO2 de l'Allemagne ! », scandent les opposants. Les nouvelles lignes haute tension, qui seront nécessaires pour acheminer le courant produit par les éoliennes de la mer du Nord et de la Baltique vers le sud du pays, où il est consommé, soulèvent aussi des polémiques. Les habitants concernés réclament souvent leur enfouissement, qui coûte en moyenne 4,2 millions d'euros par kilomètre, quand leur simple suspension dans les airs revient à 1,8 million d'euros le kilomètre. La multiplication des recours juridiques coûte aux grands groupes énergétiques beaucoup de temps, d'énergie et d'argent. Des néologismes sont apparus, comme « la République bloquée » ou « la République toujours contre » pour désigner - en le déplorant -le « Zeitgeist ».
Enfin, pour couronner le tout, les géants du secteur font face à un mouvement massif de « recommunalisation » du secteur. Les municipalités, qui avaient cédé en masse leurs réseaux d'électricité, de gaz ou d'eau, à la fin des années 1990 ou au début des années 2000, au moins en partie, y voyant un moyen de renflouer leurs caisses, veulent désormais reprendre la main. Mauvaise nouvelle pour les grands acteurs du secteur qui, à travers leurs participations dans les régies, pouvaient empêcher ou gêner l'arrivée de la concurrence. En décembre, six régies du nord-ouest du pays ont même racheté 51 % de Steag, la branche énergétique du conglomérat Evonik, sortant ainsi du seul rôle de distributeur pour devenir producteur d'électricité -le cinquième du pays. « La concentration sur le marché de la production diminue et c'est bien ainsi », a commenté Justus Haucap, le président de la Commission des monopoles. Dans une situation particulière -l'expiration prochaine d'un pacte d'actionnaires, EnBW s'est pour sa part retrouvé quasiment nationalisé, du jour au lendemain, quand le Land de Bade-Wurtemberg a repris les 45 % d'EDF au capital. Stuttgart a promis d'introduire ses titres en Bourse, à terme, mais, en attendant, la transaction est passée pour un retour du politique dans le secteur. Dans ce contexte, pour le moins hostile, les spécialistes du secteur attendent avec impatience la réponse stratégique des quatre grands.

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