vendredi 3 décembre 2010
Eurotunnel, symbole encombrant
Quitte à célébrer des anniversaires, autant choisir de bons souvenirs. Comme ce 1 er décembre 1990 qui a vu deux ouvriers, l'un britannique et l'autre français échanger la première poignée de main à 100 mètres sous la mer. Hier, les deux hommes se sont à nouveau serré la pogne, émus comme au premier jour.
On aurait pu choisir bien d'autres dates pour se remémorer cette aventure hors du commun. L'introduction en Bourse, en novembre 1987, par exemple. Mais ces souvenirs-là conservent un goût amer. Un chantier qui dérape, des actionnaires floués, des promesses trompeuses et, au bout, l'un des grands scandales financiers de cette fin de XX e siècle.
L'histoire d'Eurotunnel rappelle que, si les grands travaux sont rarement de grandes affaires, celle-là est un concentré des erreurs à ne pas commettre, même au nom d'un rêve. L'erreur politique d'abord, deux leaders qui ne partagent pas la même vision du monde et ne s'entendent sur rien, François Mitterrand et Margaret Thatcher. L'étatiste contre l'ultra-libérale. Alors, pour faire passer la pilule d'un projet 100 % privé et faire croire à la bonne affaire, on invente des projections de trafic totalement farfelues, qui s'avéreront cinq fois supérieures à la réalité.
Mais, comme ce cocktail n'était pas suffisamment toxique, les promoteurs de ce nouveau « canal de Suez » ont corsé la difficulté en imaginant un système dont les règles du jeu changent sans arrêt et où la répartition des rôles entre constructeurs et exploitants est totalement floue. Résultat, un dérapage des coûts phénoménal qui ruinera l'entreprise et la conduira à la procédure de sauvegarde en 2006. Bilan des courses : une perte de 3 milliards pour les particuliers actionnaires et de 5 milliards pour les banques.
C'est à ce prix qu'Eurotunnel est désormais une entreprise assainie, dotée de bonnes perspectives de croissance et protégée par une concession qui l'emmènera vers la fin du siècle. Ironie de l'histoire, le premier actionnaire de ce symbole européen est maintenant la banque américaine Goldman Sachs.
Seule consolation, ce symbole n'a rien coûté au contribuable. Mais il démontre que, depuis Zola et même avant, la folie des grands chantiers n'est pas l'apanage de l'Etat.
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