Alors pourquoi une crise cette année ? Jusqu’alors, le pouvoir budgétaire était partagé entre les deux branches de l’autorité budgétaire, chacune ayant la maîtrise d’une moitié du budget. Le Conseil votait les dépenses obligatoires et le PE, les dépenses non obligatoires. Le traité de Lisbonne a supprimé cette distinction et le budget doit être voté, en pratique, en codécision. En cas de désaccord, la Commission réunit un comité de conciliation chargé d’élaborer un projet commun. Il n’y est pas parvenu et il y a donc deux projets : le budget du Conseil à 126,5 milliards d’euros et le celui du PE à 130,5 milliards, en dessous du plafond autorisé par le cadre précité qui est de 134,5 milliards. Chacun a de bonnes raisons pour défendre sa position. Le PE met en avant les besoins nouveaux de l’UE, tandis que le Conseil estime indécent de proposer une augmentation du budget communautaire de près de 6 % alors que les Etats font ce qu’ils peuvent pour réduire leurs propres dépenses.
Cette situation de blocage est prévue par le traité : en cas de désaccord entre les deux institutions, c’est le budget de l’année précédente qui s’applique par douzièmes provisoires. Cela a été le cas en 1988.
Chaque milliard de plus au budget entraîne pour la France un prélèvement de 165 millions
Mais ce conflit budgétaire n’est que l’expression d’une crise politique plus profonde, qui est l’affrontement entre deux légitimités, complémentaires, mais conduisant à deux logiques budgétaires opposées. Le PE évoque les missions de l’UE et s’inscrit dans une logique de dépenses. Le Conseil évoque ses contraintes et s’inscrit dans une logique de financement. Car le budget de l’UE est financé de fait par les contributions des Etats. Ainsi, dit en substance le Conseil, il est facile au PE d’augmenter le budget, dès lors qu’il fait reporter la charge sur les Etats. Le PE, fort de ses nouveaux pouvoirs budgétaires, veut montrer sa force et ne veut pas se faire imposer une limite par le Conseil. Ce dernier freine pour ne pas avoir à céder chaque année aux demandes du PE. Car il y aura toujours de nouvelles dépenses à financer. Il faut aussi, estiment certains Etats, prendre en compte l’effort budgétaire actuel des contributeurs. En 2009, le solde net de l’Allemagne et de la France vis-à-vis du budget communautaire représente 12 milliards d’euros. Chaque milliard de plus au budget européen entraîne, pour la France, un prélèvement supplémentaire de 165 millions d’euros.
Dans ce combat, le PE a des atouts incontestables : il joue la fibre européenne, s’appuie sur l’opinion, renvoyant les Etats à leur position de pingres égoïstes. Sans compter une habilité tactique. Car, en vérité, le PE est prêt à se rallier à la position du Conseil. A deux conditions. L’une est de faire accepter par le Conseil l’idée de créer de nouvelles ressources propres. L’autre est de demander à être associé à la négociation du cadre financier pluriannuel. Car si le budget annuel est en codécision, le cadre financier lui, reste largement décidé par les Etats. Le PE n’intervient qu’au stade ultime pour approbation. Sur ces deux demandes du PE, les Etats opposent un non catégorique. L’impôt européen exige l’unanimité et le dossier, quoique séduisant, n’est pas mûr. Quant au cadre financier, qui est la clef de voute du système, c’est l’arme fatale qui leur reste et dont ils ne sont pas prêts à se défaire.
Mais le Conseil n’est pas désarmé. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, mais la rupture qui conduit aux douzièmes provisoires, donne en fait satisfaction aux Etats membres qui demandent la simple reconduction du budget 2010 ! Ensuite, le Conseil a bien compris que le PE va demander systématiquement à s’approcher du plafond de dépenses fixé par le cadre pluriannuel. Echaudé par les tensions de cette année, et alors que démarre la négociation du prochain cadre financier, il va chercher à fixer des plafonds à minima. Dans les deux cas, le résultat sera à l’exact opposé à l’objectif visé par le PE.
Jusqu’où ne pas aller trop loin ? Les deux parties ont intérêt à s’entendre. D’ailleurs, il est absolument certain qu’elles y parviendront. La construction européenne fonctionne ainsi depuis cinquante ans.
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