Aux États-unis comme en Europe, les gouvernements et les autorités bancaires sont confrontés à un paradoxe inextricable. D'un côté, tous veulent en finir avec le « too big to fail », adage devenu célèbre avec la crise de l'automne 2008 : un nombre considérable de groupes financiers « trop gros pour faire faillite » ont dû être sauvés à coups d'injections massives d'argent public. Mais d'un autre côté, force est de constater qu'à l'occasion de cette crise les banques ont encore grossi !
« Bien que le problème du « too big to fail » soit largement reconnu, beaucoup de nos plus grandes banques mondiales se sont en fait développées pendant la crise », a souligné mardi le patron de la Réserve fédérale de Boston, Eric Rosengren. Ce responsable qui fait autorité a calculé que le total des actifs des trois plus grandes banques américaines, qui était d'un peu plus de 30 % du produit intérieur brut des États-Unis en 2005, avait dépassé les 40 % en 2008. Selon ses estimations, le rapport est encore très supérieur en Europe : 250 % en France, 400 % au Royaume-Uni. Une situation qui s'explique cependant par la plus grande concentration du marché des dépôts de ce côté-ci de l'Atlantique, et par des méthodes différentes de calcul du total de bilan.
Quels que soient les chiffres, le gonflement, lui, ne fait pas de doute. Il y a une explication technique à ce phénomène : la disparition des outils (comme certaines titrisations) qui permettaient aux banques de sortir des risques de leurs bilans. Mais il résulte aussi d'un mouvement de consolidation. En particulier, il faut se souvenir que la méthode privilégiée il y a un an par les autorités pour sauver les institutions en déroute a été de les adosser : JP Morgana avalé Bear Stearns, Bank of America a repris Countrywide et Merrill Lynch, les britanniques Lloyds et HBoS ont fusionné, Fortis a été repris par BNP Paribas…
Un virage à 180°
L'urgence ayant disparu, les gouvernements sont aujourd'hui tentés par un virage à 180° au nom de la sécurité du système. Et les plus grandes institutions financières du monde s'inquiètent. Les projets de refonte de la régulation aux États-Unis (qu'il s'agisse du projet du Trésor ou de celui de Chris Dodd), en Europe ou au niveau du G20 prévoient d'imposer aux groupes dits « systémiques » des contraintes spécifiques et supplémentaires aux nouvelles exigences qui s'appliqueront à l'ensemble du secteur. Certaines de ces mesures ne seront pas dirimantes. Par exemple, les institutions systémiques devront élaborer des « testaments », en fait des états des lieux précis de leurs engagements, qui permettront aux autorités d'y voir clair si elles devaient procéder à une mise en faillite et à une fermeture. Mais les groupes concernés risquent aussi de faire face à des exigences renforcées de fonds propres. Si le curseur est poussé trop loin, il pourrait nuire à la rentabilité de ces groupes, en détourner les investisseurs et, in fine, les condamner à revoir leur modèle. Certains trouvent l'objectif louable, oubliant au passage que la mondialisation de l'économie « réelle » suppose l'existence de groupes financiers à même d'accompagner le mouvement…
En Europe, le mouvement prend un tour plus concret avec les décisions de la Commission européenne à l'encontre des groupes qui ont reçu des aides d'État l'an dernier. ING, le géant néerlandais, est ainsi contraint au démantèlement. Au Royaume-Uni, l'heure est aussi à la fragmentation. Mais il pourrait ne s'agir que d'un temps de respiration avant une nouvelle phase de consolidation du secteur. Et ce sont les acteurs les plus puissants, bien qu'ils soient déjà « too big to fail », qui sont en priorité attendus pour racheter les actifs mis sur le marché.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire