Un rapport commandé en urgence par Bercy sur une autorité dont le montant des sanctions ne cesse d'augmenter, un déchaînement médiatique sur une autre qui, après avoir enquêté sur un manquement d'initiés « massif », finit par blanchir l'ensemble des protagonistes… Cela pourrait être l'un des paradoxes de cette sortie de crise : la demande de régulation n'a jamais été aussi forte. Pourtant, les critiques contre les autorités de sanction ne faiblissent pas. L'aporie politico-économique n'est cependant qu'apparente : le procès à l'encontre des régulateurs français, dont les deux principales cibles restent, en France, l'Autorité de la concurrence et l'Autorité des marchés financiers (AMF), n'est pas nouveau. On les accuse de manque de transparence, de ne pas suffisamment respecter les droits de la défense ou encore de prononcer des sanctions trop imprévisibles ? Chaque critique, paradoxalement, révèle le véritable état de santé et le pouvoir de ces autorités administratives indépendantes : plus elles sont attaquées, plus elles sont efficaces.
Démonstration par l'exemple : le 30 septembre dernier, le Sénat a débattu de plusieurs amendements dans le cadre du projet de loi de régulation bancaire et financière visant à augmenter les pouvoirs de l'AMF. Depuis l'affaire EADS, l'autorité était difficilement audible. Ce dossier de manquement d'initiés « massif » s'était soldé par la mise hors de cause des dix-sept personnes soupçonnées. Il avait aussi mis en évidence un certain manque de cohérence entre la doctrine du collège (qui instruit) et la commission des sanctions. Il a fini incontestablement par brouiller l'image de ce « gendarme et juge ». Pourtant, l'Autorité a obtenu du Parlement une clarification qui va dans le sens d'un renforcement de ses pouvoirs.
Le 20 septembre dernier, c'était l'Autorité de la concurrence qui faisait face à l'opprobre politico-économique : un rapport commandé par le ministère de l'Economie et des Finances était présenté comme une attaque en règle contre cette instance qui ne serait pas assez transparente et dont le montant des amendes serait « imprévisible ». Le même jour, ladite Autorité lançait sans complexe une amende de 384,9 millions d'euros contre onze banques. Droite dans ses bottes de régulateur de la concurrence, elle refuse de se remettre en cause, promet des « guidelines », mais exclut que l'on touche à sa procédure de sanction, au risque de paraître intégriste.
« Pourtant, il faudra bien qu'elle y vienne, se risque le sénateur Philippe Marini, qui a présenté le projet de loi de régulation financière, c'est une nécessité d'ordre public européen. » Encore faudrait-il que le législateur se saisisse du dossier.
En attendant, le gendarme de la concurrence continue d'asseoir son autorité. Ses amendes n'ont cessé de se densifier : moins de sanctions mais plus ciblées et des sommes réclamées de plus en plus élevées. En revanche, pour l'AMF, le mouvement a été exactement inverse : le nombre de sanctions n'a pas diminué ou presque pas, et le montant des amendes a baissé. A titre d'exemple, en 2003, l'Autorité de la concurrence a prononcé 19 sanctions pécuniaires, touchant 57 entreprises pour un montant de 88,5 millions d'euros. En 2009, le nombre de sanctions est tombé à 15, les entreprises sanctionnées ne sont plus que 49, mais le montant des amendes est de 205,5 millions d'euros. Sur la même période, l'AMF a prononcé, en 2004, 33 sanctions pécuniaires pour un montant de 8,6 millions d'euros à l'encontre de 15 entreprises et 18 personnes physiques. En 2005, elles tombent à 3,8 millions, rebondissent en 2006 à 18 millions d'euros, le nombre d'entreprises touchées restant sensiblement le même, pour aboutir en 2009, toujours pour le même nombre d'entreprises, à 6,3 millions d'euros. Et sans réelle visibilité. Quant au nombre d'enquêtes ayant donné lieu à une procédure de sanction, il est resté étale, malgré la crise, autour d'une vingtaine par an.
Les deux systèmes de régulation agissent sur des secteurs il est vrai radicalement différents : là où un cartel, un abus de position dominante, exige un minimum d'actions « concrètes » de la part des contrevenants, la fraude de marché est largement plus immatérielle : difficile de contrôler des transactions lorsque plus de la moitié passent par des « shadow markets ». Consciente que, sans volonté politique forte de régulation et de sanction, elle allait être condamnée aux « petites » affaires et laisser passer faute de temps et de moyens les véritables fraudes massives, l'AMF a donc décidé de passer à l'offensive. En 2008, elle avait senti passer le vent du boulet. Le rapport Coulon suggérait de transmettre au parquet les manquements pouvant donner lieu à une double sanction administrative et pénale. Il est resté in extremis dans les tiroirs de Bercy. Aujourd'hui, des amendements du sénateur UMP Philippe Marini au projet de loi de régulation bancaire et financière devraient permettre, entre autres, à l'AMF de disposer d'un nouveau pouvoir dit « de transaction ». Elle pourra ainsi négocier avec les personnes morales ou physiques mises en cause et se passer de la procédure de sanction habituelle et donc d'un jugement de sa commission des sanctions. Quant aux sanctions elles-mêmes, leur quantum est augmenté, passant à 100 millions d'euros pour les personnes morales et à 15 millions d'euros pour les personnes physiques, leur publicité devenant systématique. Enfin, pour éviter l'écueil d'un manque de lisibilité de la jurisprudence de l'Autorité, le président de l'AMF pourra faire appel des décisions de la commission des sanctions.
La guérilla judiciaro-médiatique entre les régulateurs et les entreprises est donc loin d'être finie.
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