TOUT EST DIT

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vendredi 5 novembre 2010

Taille et rôle de l'Etat

Pour un esprit français, que la droite l'emporte dans de nombreux pays en s'élevant contre le « trop d'Etat » apparaît comme une drôle de bizarrerie. La crise n'avait-elle pas démontré, au contraire, que le recul de l'Etat depuis trente ans de libéralisme était allé trop loin ? Que le laisser-faire avait conduit à l'excès des « subprimes » ? A une survalorisation de la finance ? A une cruelle interrogation sur le devenir de la classe moyenne qui voit ses revenus stagner ?

La crise n'avait-elle pas, ensuite, démontré aussi la vérité des enseignements keynésiens d'une relance par les dépenses publiques ? La demande privée s'était effondrée à cause des banques en faillite coupant le crédit et de la confiance évanouie. N'avait-il pas fallu que l'Etat vienne, de Pékin à Washington, pour faire rempart contre la dépression ? Que, du coup, les déficits et les dettes aient grossi, quoi de plus normal ? On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Il fallait agir. Le G20, historiquement constitué et uni, a évité au monde de plonger comme en 1929 dans la dépression, les gouvernements devraient en être tous félicités. L'heure était donc, pour l'esprit français, au « retour de l'Etat ».

Puis il y eut, au printemps, un premier avertissement. La crise des dettes souveraines a souligné combien ce bel Etat était mité par les dettes et soumis à ses créanciers. Pour garder la note AAA, il fallait engager la rigueur, l'Etat n'était qu'un faible souverain sous surveillance de ces marchés qu'il dénonçait la veille. Et voilà qu'arrivent les élections en Suède, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, qui se gagnent contre le « trop d'Etat ». Les tensions de la crise se traduisent curieusement par un renforcement des critiques contre le « big government ». Obama est attaqué chez lui comme un « marxiste » pour avoir introduit une assurance-santé. Ceux qui cherchent tant bien que mal une juste voie entre les deux idéologies, un mélange d'un « bon Etat » et de « marchés régulés », sont violemment qualifiés, comme l'est le président américain par le Tea Party, d'« intellectuels ». Chez nous, les extrémistes, plutôt de l'autre bord, les considèrent comme vendus aux banques.

Au-delà de ces caricatures, les électeurs de ces pays disent deux choses : un, que l'Etat a trop grossi et qu'il lui faut revenir à sa taille d'avant-crise ; deux, que sa légitimité même n'a pas été restaurée par la crise. Ces deux critiques sont à la fois recevables et contestables.

La taille de l'Etat d'abord. On sait, en comparant la Suède et la Nouvelle-Zélande, qu'elle n'est pas, en soi, un frein à la croissance et à l'emploi. En revanche, les dettes peuvent l'être lorsqu'elles dépassent 90 % du PIB, selon les économistes Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart (1). Mais, s'il faut réduire les déficits, quand faut-il le faire ? Le débat n'est pas tranché entre ceux qui estiment que la reprise n'est pas assurée et ceux, à droite, qui veulent engager les « coupes budgétaires » dès maintenant, à la hache. La Grande-Bretagne va offrir à ce sujet un test : David Cameron est persuadé que le recul de l'Etat va spontanément laisser le champ à l'investissement privé. C'est un pari.

Le rôle de l'Etat ensuite. Autant le problème de la taille relève des économistes et d'un réglage conjoncturel, autant la question du rôle renvoie à beaucoup plus large. Le Tea Party américain vitupère contre Washington au nom de l'individualisme et de la liberté. L'esprit français n'a pas de mal à rétorquer que cette politique amène à défendre le riche contre le pauvre. Mais une critique plus dérangeante d'un « conservatisme moderne » consiste à relever que l'Etat providence n'est pas néfaste en tant que tel, mais qu'il est incapable de faire face à la diversité sociale et à la volonté de choix de populations occidentales éduquées. Entre l'individu laissé à lui-même et l'Etat massif, Philip Blond du think tank britannique ResPublica propose « une société associative », ces organisations civiles capables de mieux assurer que l'Etat sur le terrain le développement des biens communs (intégration, éducation, santé). Cette voie, celle des organisations non gouvernementales, n'est pas loin de ce que peut proposer aussi une gauche « moderne » décentralisatrice. Ensuite le débat doit s'ouvrir sur le détail de qui fait quoi, avec quel argent. Mais, décidément, c'est affirmer « le retour de l'Etat » qui est une drôle de bizarrerie.

(1) « Cette fois c'est différent », Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, chez Pearson (collection Les temps changent).

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressants commentaires, mais une petite précision si vous le voulez bien : "Cette fois, c'est différent", de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, est en réalité paru chez Pearson (collection Les temps changent)

le quotidien a dit…

MERCI POUR CETTE PRECISION !