TOUT EST DIT

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lundi 15 novembre 2010

Comment François Fillon a gagné la bataille de Matignon

Le premier ministre est parvenu à s'imposer après avoir remporté son bras de fer avec Jean-Louis Borloo.

Samedi soir, à la nuit tombée. Une longue poignée de main sur le perron de l'Élysée. François Fillon vient de remettre sa démission au président, qui l'a acceptée. Prévenant et chaleureux, Nicolas Sarkozy retient la main de François Fillon dans la sienne. La seconde s'éternise. À quoi pense le premier ministre, en cet instant? À la victoire qu'il vient de remporter sur son rival Jean-Louis Borloo? Au fait que Nicolas Sarkozy, en le reconduisant, signifie qu'il ne peut pas se passer de lui? À ce sondage, paru dans l'hebdomadaire Marianne, qui le donne vainqueur contre Martine Aubry en 2012, alors que Nicolas Sarkozy est donné vaincu?
À quoi pense-t-il, alors que le président pose sa main sur son bras, pour faire durer la poignée de main, devant les photographes? Aux humiliations des premiers mois du quinquennat? À ce mot - «collaborateur» -, lâché par le président pour le qualifier, reçu comme une gifle? Au terrain gagné depuis, notamment dans le cœur des élus de l'UMP? Au «supplice chinois» de ces deux derniers mois: «partira? partira pas?»
Tout a commencé à la fin de l'été, avec cette «forestière»: une veste de coton bleu à col Mao, portée par le premier ministre quand il arrive au fort de Brégançon, le 20 août, pour une réunion sur la croissance avec le président. Cette décontraction affichée relance l'hypothèse d'un départ. «Quand j'ai vu la veste sur LCI, je me suis dit: “aïe… qu'est-ce qu'on ne va pas entendre…”!», se souvient un collaborateur de Fillon. Le compte à rebours pour la «nouvelle étape» annoncée par Sarkozy après les régionales a commencé. Et Fillon se sait en sursis. «On a fait beaucoup de choses depuis 2007, bon… Mais trois ans et demi, c'est long», lui a glissé le président à Brégançon. Fillon sait aussi que l'entourage du chef de l'État ne lui est pas favorable: les principaux conseillers élyséens plaident pour un changement à Matignon, afin d'incarner un «nouveau souffle». Ils font campagne pour Jean-Louis Borloo et son «profil social». Le puissant secrétaire général, Claude Guéant, entretient des relations tendues avec François Fillon. Quant au conseiller spécial Henri Guaino, il estime que la légitimité du premier ministre ne peut découler que du seul président. Pas de la majorité, encore moins de l'opinion. «Je ne vois pas comment on peut continuer comme cela!», tempête-t-il. À Matignon, on fait le dos rond: «Si Fillon s'en va, ce ne sera pas un désaveu, il n'a plus rien à prouver…»

Des conseillers divisés

Tout au long du mois de septembre, les interventions de Fillon résonnent comme des adieux. Il prend ses distances avec le discours de Grenoble: «Chacun a sa sensibilité.» Et rappelle que Sarkozy n'a jamais été son «mentor». Ses amis le sentent un peu las, en retrait. Devant un député UMP qui l'apostrophe dans les couloirs de l'Assemblée pour lui dire qu'il ne votera pas la déchéance de la nationalité pour certains étrangers délinquants, Fillon se lâche: «Et encore, si tu savais ce que j'ai entendu à la réunion d'arbitrage à l'Élysée!» Au cours d'une autre réunion, alors que Nicolas Sarkozy parle fiscalité, le premier ministre envoie des SMS moqueurs à Jean-François Copé et Alain Lambert, deux anciens ministres du Budget. «À ce moment-là, Fillon est sur le départ, analyse un proche. Il fait le service minimum. Dans son esprit, les carottes sont cuites.»
À Matignon, le temps est suspendu. Des interministérielles sont repoussées sine die. Et les conseillers envoient leur CV. Les proches de Fillon sont eux-mêmes divisés sur l'opportunité de rester. Partisan d'un maintien, le fidèle conseiller Jean de Boishue lui rédige une note: «Les Français ne comprendraient pas que tu t'en ailles. Tu n'auras rien à gagner à faire une traversée du désert.» D'autres, au contraire, plaident pour un départ: «Tu partirais avec une popularité exceptionnelle, tu as mené à bien les grandes réformes du quinquennat, tu es devenu l'homme fort de la majorité, pourquoi prendre le risque de rester? Prends du recul et fais fructifier ce capital, au cas où…»
François Fillon reçoit, écoute. Mais se livre peu. «Il a quelque chose d'un empereur chinois retiré dans son palais», s'amuse un conseiller. En réalité, il hésite vraiment. «Ça dépend des jours, décrypte un proche. Il a plutôt envie de rester mais pas à n'importe quelles conditions.» «Pas-à-n'impor-te-quelles-con-di-tions»: c'est ce que l'orgueilleux Fillon martèle tout au long de ce mois d'octobre. Le premier ministre veut peser. Il ne veut plus des conseillers du président, omniprésents. Et souhaite que Nicolas Sarkozy, qui sera absorbé par la présidence du G20, lui laisse le champ libre sur la scène intérieure. «Le premier ministre veut revenir à un fonctionnement normal des institutions, explique un ministre. Il pense que c'est la condition de la victoire en 2012!»

Les doutes de Sarkozy

C'est la crise de l'essence, pendant le conflit sur les retraites, qui joue le rôle de déclencheur. L'intervention du premier ministre sur TF1, le 17 octobre, est ratée: Fillon assure qu'il n'y aura pas de «pénurie» d'essence, alors que les automobilistes trouvent des stations fermées tout le week-end. Fillon ne décolère pas: «Borloo est un zozo, il m'a fait passer pour un con!» Le lundi soir, sa communicante Myriam Lévy, et le conseiller de Jean-Louis Borloo, Benoît Parayre, s'écharpent pendant une réunion de calage, à Matignon: «Vos infos n'étaient pas fiables…», tempête Lévy. C'est exaspéré que Fillon part le week-end qui suit dans la Sarthe. Il veut faire le point au calme, dans son manoir de Solesmes. «Il avait besoin de laisser décanter», raconte un proche. Quand il rentre à Paris, Fillon veut en découdre. «Il a été piqué au vif par la campagne de Borloo qui, en plus, lui donnait des leçons en matière sociale», explique le député UMP Jean-François Lamour. Dans les couloirs de l'Assemblée, un député UMP apostrophe Fillon, à l'issue d'une séance de questions: «Tu as changé de stratégie, non? Tu te vois rester?» Fillon sourit, mystérieux: «Nobody knows…»
À l'Élysée, Sarkozy commence à douter. Son conseiller politique, Olivier Biancarelli, répète que les parlementaires de la majorité - qui se succèdent à l'Élysée - ne veulent pas de Jean-Louis Borloo. Sa gestion de la crise de l'essence est critiquée. Et son côté «décalé» ne rassure ni les élus ni l'électorat de droite. Le chef de l'État doit aussi répondre à une question, lancinante: si Borloo arrive à Matignon, que faire de Fillon? «Sarkozy se dit: si je suis trop bas dans les sondages avant 2012, qui voudra me tuer le premier? analyse un député. Il ne peut pas se permettre de laisser Fillon à l'extérieur du système, en position de recours…» Devant ses visiteurs, Sarkozy cesse de chanter les louanges de ce «Borloo de Valenciennes» qui pourrait l'aider à rétablir du consensus social, à dix-huit mois de la présidentielle. «On dit que je ne m'entends pas avec Fillon, c'est faux», lance-t-il devant un visiteur du soir.
Le vent tourne. Lors de leur tête-à-tête hebdomadaire, le 26 octobre, Sarkozy est tout miel. «Tout d'un coup, c'était ami-ami», raconte Fillon le jour même à un député UMP, dans les couloirs de l'Assemblée. Le député, ravi: «Nicolas ne sait pas par qui te remplacer, c'est ça?» Fillon, dans un demi-sourire: «C'est ça, oui…» Le député décrypte: «Il était à la fois soulagé et inquiet. Il sent qu'il va devoir se plier aux conditions posées par Sarkozy. Et ça ne lui plaît pas.» De fait: le chef de l'État a exigé de son premier ministre qu'il fasse part de son «envie» de rester à Matignon. Conscient qu'il a moins le choix qu'il a voulu le laisser croire, Sarkozy veut garder la main. En poussant Fillon à sortir du bois, il inverse habilement le rapport de forces. «Sarkozy veut faire passer Fillon pour quelqu'un qui s'accroche, décrypte un député UMP. Ce faisant, il réduit la marge de manœuvre de Fillon, qui voulait assortir son maintien d'un certain nombre de conditions.»

Piège et stratégies

Fillon a senti le piège mais il n'a pas le choix. Il peaufine sa stratégie pendant le week-end de la Toussaint. Le dimanche soir, il voit Brice Hortefeux: «Tu devrais prendre le thème de la réforme», lui conseille l'ami du président. Une intervention devant les ingénieurs, à la veille d'un déplacement de Sarkozy avec Borloo et Baroin, est identifiée comme fenêtre de tir. Fillon travaille son discours avec ses plus proches conseillers: Jean-Paul Faugère et Igor Mitrofanoff. La phrase qu'il prononcera le soir même à Matignon est pesée au trébuchet: «Je crois à la continuité de notre politique réformiste parce qu'on ne gagne rien à changer de cap au milieu de l'action et parce que le redressement de la France réclame de la durée.» Myriam Lévy s'assure que les journalistes ne laissent pas échapper la phrase: «Allez page 7…!»
Le vent a tourné. «Le président souhaitait savoir, avant de faire son choix, quelles étaient les intentions du premier ministre, confie Claude Guéant au Figaro le lendemain du discours. Son intervention est un élément de clarification.» «À Matignon, ils défont les cartons!», s'amuse un ministre. Fillon qui n'était plus sorti sur le terrain depuis septembre s'offre le luxe d'un déplacement, le lundi suivant. Il se rend en banlieue, parler de politique de la ville. Une nouvelle pierre dans le jardin de son rival. Le premier ministre répète que le pays a besoin de «continuité». Mais il n'en rajoute pas. Il sait qu'il a gagné. «Fillon est bien trop habile pour triompher», décrypte un ministre.
Les jours qui suivent, le premier ministre consulte. Il teste des idées, réfléchit à son discours de politique générale, en lien avec l'Élysée. Mais il reste un sujet d'inquiétude: une nomination de Jean-François Copé à la tête de l'UMP. Fillon redoute de se voir cantonné à un rôle de gestionnaire à Matignon, avec un Copé suractif et fer de lance de la campagne de 2012. Samedi, lors de son tête-à-tête avec Sarkozy, le premier ministre tente de le dissuader de nommer le patron des députés UMP à la tête du parti: «Il nous faut des poids lourds au gouvernement, prends Copé à l'Intérieur!» En vain.
Le lendemain, sa nomination est officialisée par l'Élysée. François Fillon fait savoir dans un communiqué qu'il «s'engage avec détermination dans une nouvelle étape». Une nouvelle étape qui, sur RTL, fait rêver son père, Michel Fillon: «Il nous étonne sans arrêt cet enfant», «je suis persuadé qu'il ferait un très bon président de la République.»

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