TOUT EST DIT

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vendredi 14 janvier 2011

Moqueries et littérature

La cooptation de Régis Debray au sein du jury du prix Goncourt donne lieu à un festival de moqueries auquel il devait sans doute s'attendre. Le pensionnaire de la sordide prison bolivienne de Camiri, dans les années 1960, déjeunant aujourd'hui avec les couverts en vermeil de chez Drouant, le pourfendeur de la nomenklatura culturelle recruté au sein de l'une de ses institutions fétiches, le disséqueur de la médiacratie formant équipe avec le télécrate Bernard Pivot, tous ces symboles ne pouvaient que chatouiller les plumes moqueuses. Il serait facile d'y ajouter quelques suppléments taquins. Le goût d'une certaine vérité, plus que celui du paradoxe, nous incite cependant à passer du ricanement à l'hommage.

Hommage, d'abord, à un homme courageux. On pense ce que l'on veut de son improbable équipée révolutionnaire dans l'Amérique latine des années romantiques, mais il a risqué sa vie pour ses idées et ce n'est pas méprisable. Trente ans plus tard, dans « Loués soient nos seigneurs », il a dressé un magnifique mais terrible portrait de Che Guevara, son idole d'antan. Il fallait du courage aussi pour dépeindre en moine-soldat fanatique, égaré dans une stratégie politique erronée et un combat militaire sans issue, celui auquel on a sacrifié les plus belles années de sa jeunesse.

Hommage ensuite et surtout, puisque c'est le sujet du jour, à un grand écrivain. Sans faire injure au talent de ceux qu'il rejoint, ni à celui de Michel Tournier qui lui cède sa place, Debray apporte une ampleur culturelle et une flamboyance formelle dont il est peu d'exemples dans la littérature française depuis Chateaubriand. A ces mots, les ricaneurs ressortent de leur boîte comme un coucou suisse pour chambrer le révolutionnaire mâtiné Restauration et le marxiste redécouvrant les vertus du sacré. Riez, riez, messieurs les moqueurs. Mais, dans un siècle, il n'est pas sûr qu'on se souvienne de Houellebecq, prix Goncourt 2010. S'agissant en revanche de Régis Debray, on prendrait volontiers les paris, comme on les aurait pris avec son maître récemment disparu, Julien Gracq.

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