TOUT EST DIT

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vendredi 14 janvier 2011

Marine Le Pen ou le faux printemps du Front national

une transition, pas une révolution. L'élection attendue de Marine Le Pen, ce week-end, à la tête du Front national n'est pas synonyme de changement profond pour le parti d'extrême droite présidé sans discontinuer depuis sa création, par son père, Jean-Marie, en 1972. Au-delà de la rénovation de l'image personnelle de son leader -par nature rajeunie et féminisée, par construction adoucie et modernisée -, la structure des soutiens du Front national demeure stable. La crainte de voir le FN changer de visage en changeant de tête, est alimentée par la poussée de popularité dont jouit Marine Le Pen. Publié début décembre 2010, le dernier baromètre Ipsos - « Le Point » des personnalités politiques lui donne un record de 27 % d'opinions positives, en hausse de 5 points en un mois.
Mais la performance doit être relativisée. D'abord, Jean-Marie Le Pen avait déjà atteint 26 % d'opinions positives. C'était en juin 2006, et sans avoir été « servi » par le contexte d'une crise financière majeure. Ensuite, sa fille, Marine, reste confrontée à une impopularité massive (67 %) sans autre équivalent que celle de Ségolène Royal. Enfin, il n'y a nulle raison qu'elle échappe à la loi de dissociation des courbes de popularité et d'intentions de vote. Comme le souligne Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, « les scores électoraux de Jean-Marie Le Pen ne sont pas corrélés à sa cote de popularité ». En mai 2007, le vieux leader frontiste n'obtient que 10,4 % des suffrages au premier tour de la présidentielle avec une cote de popularité pourtant supérieure à celle d'avril 2002, lorsqu'il se qualifie pour le deuxième tour, avec 16,9 % des voix.
Quant à la progression de l'adhésion aux idées du Front national, elle reste décevante en regard des efforts déployés par Marine Le Pen pour les rendre plus acceptables à un électorat de droite traditionnelle. Moins marqué que ne l'était celui du fondateur du Front national par les déchirures françaises du XX e siècle, moins empreint de cette nostalgie colonialiste et anti-gaulliste qui constitua le premier terreau du lepénisme, plus détaché aussi des racines xénophobes et antisémites communes aux extrêmes droites européennes, le discours de Marine Le Pen s'élargit et s'approfondit à des domaines où l'argumentation est autant économique et sociale qu'idéologique. L'euro n'est plus combattu au seul nom de la souveraineté nationale mais en raison de son effet supposé sur le pouvoir d'achat des Français. Sans rompre avec les fondamentaux du parti (préférence nationale, politique sécuritaire...) -en atteste sa provocante comparaison entre l'Occupation et les occupations de rues par des musulmans en prière -, Marine Le Pen étend la thématique frontiste à la lutte contre le libéralisme, laquelle cohabite, d'ailleurs, dans une alchimie intellectuelle hasardeuse, avec le rejet de l'étatisme. Porté par une personnalité plus ancrée dans le réel que ne l'était un Jean-Marie Le Pen aux idées en perte de vitesse, ce renouvellement propositionnel « a remis en place une dynamique », constate l'Alsacien Philippe Richert, ministre des Collectivités territoriales.
Sans être négligeable, le pouvoir d'attraction exercé par Marine Le Pen sur l'électorat UMP ne doit cependant pas être surestimé. Paru mercredi, un sondage TNS Sofres pour « Le Monde », Canal+ et France Inter évalue certes à 43 % la part des sympathisants de l'UMP prêts à des alliances avec le FN, un chiffre en hausse de 20 points par rapport à 2002. Mais, hormis qu'il traduit un doute, à droite, sur la capacité de Nicolas Sarkozy à l'emporter seul en 2012, ce résultat est un indicateur imparfait de rapprochement idéologique. Dans le même sondage, seuls 16 % des sympathisants de l'UMP disent qu'ils se sentiraient « plus proches du FN » si Marine Le Pen en était élue présidente. La dédiabolisation joue, mais pas à plein.
C'est ce que montre, plus largement, le taux d'adhésion global des Français aux idées du FN. En un an, il est passé de 18 % à 22 %. Mais ce niveau reste inférieur à ceux déjà observés, par exemple entre mai 2002 (28 %) et décembre 2006 (26 %). D'ailleurs, entre deux tiers et trois quarts des Français selon les enquêtes, estiment que le parti de Marine Le Pen ne sera pas différent de celui de son père. Si, comme le relève François Miquet-Marty, directeur général adjoint de l'institut Viavoice, « les raisons du soutien au Front national se sont diversifiées et enrichies », « la structure et l'ampleur de ce soutien varient peu ». Les derniers résultats détaillés (décembre 2010) du baromètre Viavoice des personnalités politiques montrent que c'est toujours chez les ouvriers puis chez les retraités, les artisans-commerçants et les agriculteurs que Marine Le Pen enregistre ses plus forts soutiens. Avec un déficit persistant presque partout ailleurs.
« Il est bien trop tôt pour voir émerger un nouvel électorat lepéniste », observe Pierre Giacometti, fondateur associé du cabinet de conseil en stratégies d'opinion GiacomettiPeron. C'est dans les ultimes semaines de la campagne présidentielle de 2002, que s'était construit, auprès de seniors inquiets pour leur sécurité, le score de Jean-Marie Le Pen. Les seniors demeurent naturellement le premier « groupe cible » pour le Front national de Marine Le Pen. Toutefois, pour des raisons qui tiennent largement à sa personne, celle-ci peut prétendre élargir son aire d'attraction auprès de deux catégories dans lesquelles le parti d'extrême droite connaît un fort déficit : les femmes et les jeunes. Le pari est loin d'être gagné car cette stratégie la pousserait à renoncer à une radicalité expressive qui agit sur ces électeurs comme un repoussoir. Or c'est l'affirmation de cette identité extrémiste qui lui permet aujourd'hui de préserver, par-delà le retrait du chef charismatique, l'unité du Front national jusque dans ses composantes les plus dures.

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