jeudi 17 février 2011
Valka-Valga, la vie à deux visages
Lorsque l'on traverse la frontière entre Valka la Lettone et Valga l'Estonienne, on ne change pas seulement de pays mais aussi un peu d'époque. Récit d'une querelle entre Anciens et Modernes tout au bout de l'Europe.
"Tout est toujours mieux en Estonie", lance la rédactrice en chef du journal de Valka, Ingūna Johansone lorsque ses invités arrivent. Dans son petit sourire au coin des lèvres, on sent bien l’ironie : "C’est ce que disent habituellement les Lettons, mais moi je pense qu’il n’y a pas une grande différence." A la rédaction de Ziemeļlatvija, lorsqu'on commence à parler de Valga et de Valka, il y a toujours quelqu’un pour se souvenir qu’un ex-collègue est parti travailler en Estonie. "Et mon fils travaille en Estonie", ajoute un autre. "Un ami y cherche du travail... Un parent y travaille déjà…".
Personne ne peut dire exactement combien de Lettons travaillent à Valga. Ils seraient environ 200, ce qui n'est tout de même pas rien pour une petite ville. Les Lettons ont également découvert les magasins estoniens. Et même s'ils pensent que les prix ont augmenté en Estonie depuis l’introduction de l'euro [le 1er janvier], ils continuent de s'y rendre par centaines tous les week-end pour faire leurs achats. "A Valga, un appartement sur cinq est acheté par un Letton," dit l’agent immobilier, Hans Heinjärv. "Mais je ne connais pas d’Estonien ayant acheté un appartement". Enfin, les Lettons ont aussi commencé à aller à l’hôpital de Valga. L'année dernière, 300 d'entre eux se sont fait soigner à Valga et 82 y sont nés (l’année précédente, ils étaient respectivement 50 et 17).
Jusqu’à présent, ce phénomène était comme une infiltration silencieuse non organisée. Mais en novembre dernier, le jeune maire de Valga, Ivar Unt, est passé à l'attaque. Il a lancé une campagne invitant les Lettons à s’enregistrer auprès de l'administration comme habitants de Valga. Un chèque cadeau équivalent de 319 euros a été offert à l’un des participants à cette campagne tiré au sort. "C’est scandaleux !" a rétorqué le maire de Valka, Kārlis Albergs. Les journalistes lettons ont eux aussi jeté de l’huile sur le feu. Télévision, radio et journaux sont arrivés de Riga et ont montré des images d'une Valga florissante et d'une Valka qui stagne. En réalité, Valga n’est pas un coin riche de l’Estonie. Selon la caisse d'assurance chômage, seul Ida-Virumaa [région russophone au Nord-Est de l’Estonie] compte plus de chômeurs. Et les statistiques montrent que les salaires y sont les plus bas du pays.
Certes, Valga n’est pas non plus un ghetto avec des clochards à tout coin de rue. La pauvreté est très relative. C'est-à-dire qu’il y a un peu plus de maisons en ruine et l'aspect général de la ville est plus fatigué que dans d’autres villes d'Estonie. L'empreinte la plus pesante sur Valga est celle laissée par l'Union soviétique, lorsque l'on a construit dans cette ville frontalière et ferroviaire beaucoup d'industries dont plus personne n'en a besoin aujourd'hui. Malgré tout cela, Valga se trouve dans une meilleure situation que Valka, la lettone. Tout d’abord, Valga est plus grande et plus riche que Valka : les salaires y sont plus élevés, les aides sociales plus importantes. De plus, la ville s’est un peu plus développée grâce à ses nouveaux bâtiments, ses centres commerciaux, quelques petites entreprises, une belle école et un grand hôpital.
Sous la neige, la différence entre les deux villes n’est pas très visible. En été, les gens disent que passer de la partie estonienne à la partie lettone de la ville est comme entrer dans une autre époque. Or, ce qui fait réellement la différence pour les gens, c'est qu'"à Valga, on peut encore trouver du travail", dit Marite Runka, une lettonne qui travaille dans une usine de textile. Anu Eesmaa, le chef de la production de l’usine qui appartient à des Finlandais, dit en rigolant que Marite Runka est le chef de la "ligne lettone", car elle dirige une équipe composée de plusieurs Lettons. Ils sont vingt à travailler dans cette usine. Personne ne les fait venir. Ils viennent tous seuls. Un connaissance aurait conseillé, un ami aurait invité…Les entrepreneurs estoniens assurent qu’ils ne cherchent pas spécialement à embaucher les Lettons. Ca se fait comme ça, c'est un hasard.
Le jeune maire de Valga, Ivar Unt, s'assoit dans son petit bureau devant la photo officielle du président estonien, Toomas Hendrik Ilves. Il offre aux invités du thé et des biscuits et parle d'une même ville qui se trouve dans deux Etats différents. Les Lettons aiment bien le maire de la ville estonienne, qu'ils trouvent innovant, courageux et entrepreneurial. Le maire de Valka, Kārlis Albergs, un homme de la “vieille école” à l'âge de la retraite, est son opposé. La campagne pour inciter les Lettons à s'enregistrer n'avait pas finalement eu de réel impact: seul dix personnes ont répondu à l'appel. Il était assez difficile de trouver un endroit pour s'enregistrer. Mais lorsque que l'information commencera à bien circuler et que l'enregistrement sera mieux organisé, le nombre d'arrivés à Valga pourrait exploser. Ivar Unt assure que ce n'est qu'un début. De quoi inquiéter les hommes politiques lettons.
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