C’est le serpent de mer du Parlement européen. Comme le monstre du Loch Ness, l’«affaire du siège» surgit régulièrement des profondeurs aussi abyssales que fangeuses de la très petite politique européenne. Chaque fois qu’un eurodéputé est en mal de publicité, chaque fois qu’un groupuscule créé pour l’occasion croit devoir verser dans le populisme en dénonçant la gabegie du «cirque ambulant» entre Strasbourg et Bruxelles. Curieusement, en omettant ou en relativisant toujours Luxembourg, l’autre «siège» qui abrite le secrétariat de l’organisation, à mi-chemin de la capitale belge et de la métropole alsacienne.
Qu’ils semblent soucieux de l’argent du contribuable, ces eurodéputés en faisant du même coup croire qu’ils résident sept jours sur sept à Bruxelles... où, en réalité, ils ne sont pas plus souvent qu’à Strasbourg! Pauvres élus soumis au stress éprouvant de la bougeotte perpétuelle... dûment compensé en généreux frais de déplacements, y compris pour les fonctionnaires!
Alors, on avance les chiffres du surcoût des sièges multiples. Tantôt 220 millions d’euros par an, charge des bâtiments comprise, selon la campagne «One Seat» durant la législature précédente. Maintenant, 180 millions, plus – l’air du temps – 19 000 tonnes de CO2 inutilement rejetées dans l’atmosphère par la transhumance de 3 000 personnes par mois et la noria des camions de déménagement. Une curiosité, d’ailleurs, à l’époque de l’informatique, de la téléimpression et de l’archivage numérique. Pourquoi toutes ces caisses qui encombrent les couloirs et les bureaux du bâtiment Louise Weiss pour être rarement ouvertes?
Mais passons. Le vrai problème est politique, et il n’est pas nouveau. Les gouvernements français successifs, de gauche comme de droite, ont trop tardé à accepter la réalité du Parlement européen et, surtout, sa montée en puissance. Certes, Paris n’a jamais été avare en beaux discours, même en dotations spéciales pour la Ville de Strasbourg et a toujours su rappeler l’ «effet domino» des traités fixant les sièges des institutions européennes: toucher à Strasbourg, c’est remettre en question l’implantation de toutes les organisations européennes. Une belle détermination qui n’a pas empêché le lent glissement du Parlement vers Bruxelles, jusqu’à accepter que les «mini-sessions » en demi-journées dans la capitale belge prennent le rang de «plénières»... pourtant réservées à Strasbourg.
Et puis, il faut le reconnaître, l’élargissement de l’UE n’a pas vraiment favorisé Strasbourg. L’Union à 27 réveille le problème des liaisons ferroviaires et aériennes. Une vieille lune! Les plus anciens se rappellent le projet de liaison rapide Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg discuté début des années 1980, à l’époque de la CEE avec 12 Etats membres! Aujourd’hui, prendre le train Strasbourg-Bruxelles relève encore de l’aventure. Quant à l’aéroport dit «international» de Strasbourg... évitons les sujets qui fâchent.
Comme un miroir, la sempiternelle querelle du siège renvoie l’image de la construction européenne. Son passé en petites étapes et son présent. Un présent fait de replâtrage et de provisoire censé durer. Tant que l’Europe n’évoluera pas, le statu quo portant aussi sur le siège du Parlement restera inébranlable. Et faute de vision politique, l’évolution n’est pas pour demain.
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