C'est une CFDT pressée d'en finir et déjà rassérénée qui se mobilisera cet après-midi une dernière fois contre la réforme des retraites. A l'heure du baroud d'honneur, le constat premier n'est certes guère réjouissant pour les syndicats : la partie a été perdue et, par sa fermeté, Nicolas Sarkozy aura finalement souligné les limites de l'action syndicale. Mais tandis que chacun fait les comptes à l'issue d'un conflit hors normes, le leader cédétiste, François Chérèque, peut se targuer d'avoir atteint l'essentiel de ses vrais objectifs. Décryptage d'une tactique basée sur l'art de gagner à perdre…
Toute la stratégie de la CFDT doit en effet se lire à l'aune du double point de départ de sa réflexion. Primo, elle n'a jamais cru possible de faire reculer Nicolas Sarkozy sur les passages à 62 et 67 ans. Les contraintes budgétaires étaient là, le chef de l'Etat en faisait un marqueur politique. La CFDT le savait. Secundo, elle a renoncé d'emblée à négocier une réforme incluant des reports des bornes d'âge. Il était hors de question pour elle d'endosser une partie de son inévitable impopularité. Le souvenir du cauchemar de 2003, où elle était sortie vilipendée, déchirée et isolée de son soutien de dernière minute à la réforme Fillon, était encore vivace. Dans l'organisation en général, et chez François Chérèque en particulier, lui que l'épisode, une année à peine après son arrivée à la tête de la centrale, avait beaucoup meurtri.
Impossible ou presque d'empêcher la réforme, exclu de l'accompagner : dans ce contexte, la CFDT a vite compris qu'il fallait tout faire pour rendre la défaite annoncée la plus profitable possible pour son propre avenir. D'un bout à l'autre du conflit, son véritable objectif aura été de soigner son image combative en vue de se racheter une virginité après sa « trahison » de 2003. C'est ce qui explique, malgré des divergences de fond profondes sur la question des retraites, la proximité que François Chérèque aura savamment affichée avec son homologue cégétiste, Bernard Thibault. Ce mariage de raison a été payant. L'opinion lui sait gré d'avoir orchestré l'unité syndicale sans jamais tomber dans la radicalisation excessive. Le soutien des Français au mouvement a fait gagner la CFDT en audience, popularité et légitimité. Cela lui a permis de continuer à faire le vide autour d'elle. Dans le prolongement de la réforme de la représentativité de 2008 et des manifestations de 2009 contre la crise, le conflit sur les retraites a confirmé que, côté syndical, il y a désormais le puissant tandem CGT-CFDT, aux manettes, et les autres.
Le second objectif de la CFDT était de faire infuser ses idées dans les débats en vue de batailles futures. Elle peut, là aussi, se féliciter d'avoir, en partie, « gagné la bataille de l'opinion ». Pas à pas, l'idée que la réforme « équitable » vantée par l'exécutif serait en réalité « injuste » a gagné les esprits. La centrale a alors réussi à porter les projecteurs sur les cas des salariés à métiers pénibles, de ceux qui ont commencé jeunes (les carrières longues) et des mères à carrières hachées - ses sujets de prédilection. Surtout, la CFDT a arraché, in extremis, que soit gravé dans la loi le principe d'une « réflexion nationale » en 2013 sur une réforme systémique de plus grande envergure (retraite par points), son grand cheval de bataille. C'est une forme de reconnaissance de sa capacité de proposition et cela a une conséquence directe déterminante : que la gauche ou la droite l'emporte en 2012, les retraites seront de nouveau à l'agenda politique dans la foulée. A défaut de vraiment peser lors de la première manche, François Chérèque a réussi à en ménager une seconde à brève échéance.
Le dernier objectif de la centrale était plus politique avec, en toile de fond du conflit, la présidentielle de 2012. La réforme des retraites aura largement contribué à mettre à mal des relations qui n'étaient déjà pas au beau fixe entre Nicolas Sarkozy, son conseiller social Raymond Soubie (qui vient de quitter l'Elysée) et François Chérèque. Au plus fort du conflit, le leader cédétiste a surjoué à dessein la rupture du dialogue mais le torchon a réellement brûlé. La CFDT, qui ne cache plus vraiment qu'elle mise désormais sur un retour au pouvoir de la gauche, a profité du conflit pour se réconcilier avec le PS (la brouille remontait, on y revient toujours, à 2003) et rejouer un rôle de boîte à idées d'une gauche moderne. En témoigne la tribune sur les retraites cosignée dans « Le Monde » du 9 septembre par François Chérèque et de nombreux économistes, chercheurs et personnalités de gauche (Thomas Piketty, Alain Touraine, etc.)
La CFDT ressort comme le principal bénéficiaire du conflit côté syndical mais aurait tort de s'exonérer pour autant de toute analyse autocritique. François Chérèque avait pris soin de protéger ses arrières en faisant valider par les militants eux-mêmes la position précise de la centrale, lors de son congrès mi-juin. Cela lui assure aujourd'hui un certain calme en interne mais, sur le terrain, les troupes sont aussi bien obligées de constater que l'alliance avec la CGT et un positionnement plus contestataire qu'à l'accoutumée n'auront pas permis d'arracher des gestes vraiment importants. Oui, la CFDT a beaucoup semé. Mais reste à savoir ce qu'elle va vraiment récolter. A terme, une partie de la base pourrait se demander si la centrale qui entend incarner une certaine idée du réformiste n'aurait pas eu plus à gagner à assouplir d'emblée sa position sur le passage de 60 à 62 ans, afin de mieux négocier des contreparties plus fortes. On ne le saura jamais. Mais il n'est pas interdit de le penser. Pour parer à ces interrogations et valider a posteriori cette tactique, François Chérèque espère désormais capitaliser sur les tensions nées du conflit pour obtenir des gestes sur les dossiers plus ou moins liés à la réforme, à commencer par l'emploi des jeunes et des seniors. Logique, mais incertain : de vrais gestes seront très durs à obtenir du gouvernement au vu des finances publique et, dans un contexte économique de lente reprise, les négociations avec le patronat seront ardues. Plus directement sur le dossier des retraites, le fameux « rendez-vous » de 2013 est en outre bien incertain. Sur le fond, la perspective d'un système par points fait peu d'émules : la CFDT est le seul syndicat à pousser ce scénario, le gouvernement est contre et le PS reste prudent.
1 commentaires:
Dans un article intitulé « Des gagnants, des girouettes et une unité syndicale de façade» à l’adresse http://www.retraites-enjeux-debats.org/spip.php?article477 nous rappelons et analysons le comportement des principaux acteurs de cette bataille sociale.
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