« Il y a là de quoi faire tomber 20 gouvernements » ? Michel Rocard l'avait annoncé en ces termes il y a presque vingt ans : une réforme des retraites ne peut pas bien se passer. Quels que soit l'esprit, la nature et le contenu du texte, et quelle que soit la majorité en place, un épisode de tension était non seulement prévisible mais inévitable.
L'équipe Fillon, évidemment, avait anticipé cette crise sociale momentanée. Elle avait même parié dessus, espérant cristalliser le mécontentement populaire une bonne fois pour toutes pour mieux le dépasser. C'est une stratégie qui explique pourquoi elle s'est refusée à toute remise en question des deux reports de l'âge de départ à la retraite. On pouvait discuter de tout mais pas de ça ! Les sondages du printemps ayant mis en évidence une lucide résignation des Français à travailler plus longtemps pour sauver le régime par répartition, le gouvernement en est resté là. Il n'a pas vu monter, derrière l'exaspération programmée, l'incompréhension du pays à l'égard d'un dispositif sans doute financièrement efficace, mais incontestablement injuste. La conviction qu'il était nécessaire a occulté toute autre considération.
Ce décalage de perception s'avère destructeur. Il était toujours là, intact, hier soir sur le plateau de TF1. Nuisible, il peut avoir l'effet d'une grenade dégoupillée lancée dans une semaine qui sera celle de toutes les incertitudes. Le sang-froid du Premier ministre a été trop mécanique, trop imperméable, trop désincarné pour prétendre faire retomber la température. Un discours presque glacial, aussi bloqué que la France à laquelle il s'adressait. Et inconsciemment provocateur, en supplément, avec l'évocation de « l'injustice » que constituerait l'impôt sur la fortune, « corrigée » par le bouclier fiscal. Le chef du gouvernement a connu des soirs meilleurs... A quoi bon répéter que la porte de Matignon est toujours ouverte quand on prévient les ténors syndicaux qu'ils ne trouveront rien à partager sur la table des négociations ? Ce fut l'expression sans appel d'une nouvelle forme de pensée unique. Qu'on se le dise : aucun compromis n'est possible !
Jamais le gouvernement ne suspendra la discussion du texte qui sera voté par le Sénat, sans doute mercredi. La rue ne gagnera pas ce combat là. Même si elle espère encore un épilogue comme l'extravagante non-promulgation du CPE, elle devra probablement s'incliner devant une loi démocratiquement adoptée. Mais avec sa victoire à la Pyrrhus, le pouvoir, lui, a déjà perdu la bataille de l'opinion. Le paysage désolant de la France désabusée et inquiète de ce lundi matin, réduite à attendre les interventions musclées de la police, montre l'échec d'une gouvernance toute entière, qui ne s'effacera pas de sitôt des mémoires.
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