TOUT EST DIT

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mardi 3 novembre 2009

Peut-on juger un soldat ?

Pour la première fois dans les anales militaires, des familles vont se retourner contre une action de commandement de l'armée. Cette démarche pose la question de la responsabilité des gradés officiant dans une armée désormais de métier. Responsables mais pas coupables, les militaires sont-ils au-dessus de la loi ?
Les familles d'au moins deux victimes parmi les dix soldats français tués lors d'une embuscade tendue par les talibans en août 2008 dans la vallée d'Uzbin en Afghanistan, ont décidé de porter plainte contre X pour "mise en danger délibérée de la vie d'autrui". À l'initiative de cette action, le père du parachutiste Julien Le Pahun, décédé à 19 ans, et l'ancienne épouse du sergent infirmier Rodolphe Penon, 40 ans. Cette plainte vise "des individus qui n'ont pas, à notre sens, assumé leurs responsabilités, qui n'ont pas su gérer la mission qu'ils devaient mettre en place" dénoncent les familles, qui soupçonnent l'existence "d'une série de manquements dans la chaîne de commandement", lors de cette opération militaire.
La version des familles
M. Le Pahun met en cause le commandement militaire direct des soldats, à savoir le capitaine Crézé (du 8ème RPIMa) et le colonel de Cevins (chef de corps du RMT, et à ce titre du bataillon français). Frédéric Pons dans son livre "Opérations extérieures" (Presses de la Cité) décrit l'opération d'embuscade : "Il n'y a pas eu de reconnaissance aérienne préalable, avec des hélicos et des drones, alors qu'on savait que le terrain était aux mains des talibans". Il évoque le fait que "l'officier qui a organisé la mission et qui devait l'encadrer n'a finalement pas participé à la patrouille de reconnaissance". "Nous sommes en droit de connaître la vérité", exige Joël Le Pahun qui précise "cette plainte ne vise pas le président de la République, son gouvernement ou le chef d'état-major des armées".

"La guerre, ce n'est pas un salon !"
Maître Gilbert Collard défendra les familles dans cette action. Il précise l'objet de cette plainte qui a pour but de "mettre en cause la hiérarchie militaire qui a commis des fautes dans l'organisation de cette opération militaire […] de connaître la vérité et de faire avancer les choses" sans toutefois annoncer vers quoi. Indigné, il explique le point de vue des victimes "On a envoyé les soldats français se faire tuer ! C'est inacceptable ! Pourquoi l'officier qui devait encadrer les troupes ce jour-là n'est pas allé sur le champ d'opération ? Parce qu'il devait accueillir à Kaboul des personnalités. La guerre, ce n'est pas un salon !"

Un cas inédit
La démarche est sans précédent bien que la question du niveau de responsabilité des gradés ait déjà été soulevée au Parlement. Le droit de la guerre est encadré par les conventions de Genève, qui fixent les règles du droit humanitaire international. Le tribunal aux armées de Paris est compétent dans cette affaire, il lui appartiendra de se prononcer sur le bien fondé de la plainte. L'irrecevabilité est le point stratégique de défense du ministère car l'Etat major considère qu'il n'y a pas eu faute mais une "erreur d'évaluation" de la situation, commise sur la base de "référence fausse", les dix soldats français étant tombés dans une embuscade dressée par un ennemi plus nombreux. Ainsi, les deux officiers n'ont pas été sanctionnés. Pour Gilbert Collard : "il est évident qu'un militaire risque sa vie, mais c'est autre chose de risquer sa vie dans une intervention mal préparée ; des fautes ont été commises par des responsables".

La guerre, un métier comme un autre ?
Si la plainte est considérée recevable, les militaires en opération devront faire face à la "judiciarisation" de leur activité devenue un véritable métier depuis 1996. "C'est une tendance lourde, à laquelle les armées françaises devaient être confrontées un jour ou l'autre. A partir du moment où l'on recrute des professionnels et que quelque chose dérape, les gens cherchent des responsables et se tournent vers la justice" note Jean-Marc Balencie, consultant dans un cabinet spécialisé dans les questions de sécurité. Un officier s'inquiète d'un glissement qui risquerait de "paralyser l'action militaire" qui se doit d'être "rapide, parfois instinctive". Il prévient : "au lieu d'éliminer le risque pour les hommes, on l'augmenterait". Un autre gradé témoigne de la négation du métier de soldat, qui évolue dans le "brouillard de la guerre".
Laetitia Gueugnon

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