TOUT EST DIT

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mardi 3 novembre 2009

Vers une "judiciarisation" du métier de soldat?

Plus d'un an après l'embuscade d'Uzbin, en Afghanistan, qui a coûté la vie à dix soldats, deux familles veulent porter plainte pour "mise en danger de la vie d'autrui". Une initiative qui pourrait poser problème aux militaires en opération.
La volonté de deux familles de soldats morts le 18 août 2008, dans la vallée d'Uzbin en Afghanistan, de porter plainte pour "mise en danger de la vie d'autrui" soulève de délicates questions, à la fois juridiques et déontologiques. Elles pourraient avoir également des implications sur le plan opérationnel.
Si le droit de la guerre est encadré par les conventions de Genève, qui fixent les règles du droit humanitaire international, la démarche du père de Julien Le Pahun, grenadier-voltigeur du 8e RPIMa, et de l'épouse du sergent Rodolphe Penon, infirmier du 2e REP, est inédite. De source militaire, il n'existe aucun précédent qu'une famille se retourne contre l'institution pour une action relevant du métier de soldat.

Quand les plaintes seront effectivement déposées, vraisemblablement lundi prochain, il appartiendra au tribunal -en l'occurrence celui aux armées- de se prononcer sur leur recevabilité. C'est l'argument défendu par le ministère de la Défense. L'armée française considère qu'il y n'a pas eu de "faute", notamment du commandement: les dix soldats français étant tombés dans une embuscade dressée par un ennemi plus nombreux qu'eux. C'est ce que conteste Joël Le Pahun, via son avocat Gilbert Collard : "Il est évident qu'un militaire risque sa vie, mais c'est autre chose de risquer sa vie dans une intervention mal préparée ; des fautes ont été commises par des responsables", a-t-il expliqué sur France Inter.

Si les plaintes sont considérées comme recevables, cette initiative posera un problème complexe aux militaires en opération. Celui de la "judiciarisation" de leur métier, qui touche, par exemple, déjà les métiers médicaux. La haute hiérarchie redoute cet avènement, que de nombreux observateurs considèrent pourtant comme inéluctable en raison de l'évolution des sociétés occidentales. "C'est une tendance lourde, à laquelle les armées françaises devaient être confrontées un jour ou l'autre, souligne Jean-Marc Balencie, consultant dans un cabinet spécialisé dans les questions de sécurité (1). A partir du moment où l'on recrute des professionnels et que quelque chose dérape, les gens cherchent des responsables et se tournent vers la justice."

Un officier s'en inquiète : "Si on suit cette pente, on risque de paralyser l'action militaire. Alors qu'on attend des chefs une réaction rapide, parfois instinctive, on va les inhiber, quel que soit leur niveau de responsabilité. Ceux-ci peuvent être amenés à ne pas décider ou à décider à contretemps. Au lieu d'éliminer le risque pour les hommes, on l'augmenterait." L'idée même qu'un magistrat puisse déterminer la "vérité" d'une action de combat ne passe carrément pas. "Sur quels critères un juge, huit mois après les faits, va pouvoir dire s'il y a eu faute ou pas ? On ne va pas rejouer l'action dans son cabinet pour savoir si sa version est la meilleure", s'énerve un autre gradé. Pour ce dernier, c'est même la négation du métier de soldat, qui évolue dans le "brouillard de la guerre".

Mission discrète à Kaboul

La guerre ! C'est précisément le non-dit qui empêche de comprendre pourquoi des soldats français meurent à Kaboul. Il existe manifestement un déficit de compréhension, donc d'explication. "Depuis le drame d'Uzbin, on tourne autour du mot, regrette le député Hervé Mariton, secrétaire national de l'UMP aux armées et à la défense. Ce serait la réponse la plus claire et la plus cohérente à donner à ce père qui pose des questions raisonnables. Je crois qu'il serait mieux avisé de qualifier explicitement ces opérations de guerre, qui bénéficieraient du consentement de la nation."

Cette affaire, sur laquelle l'armée française a multiplié dès le départ les erreurs de communication, illustre la fragilité de l'Occident face à la violence et aux pertes inévitables qu'elle entraîne. Alors que l'Otan semble s'enliser chaque jour davantage en Afghanistan, provoquant débats et votes chez de nombreux alliés (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Pays-Bas...), le sujet devrait refaire surface en France. Inquiétudes et doutes commencent à se développer mezzo voce au Parlement sur la stratégie menée en Afghanistan. Le président du Sénat, Gérard Larcher, accompagné des présidents de tous les groupes politiques de la Haute Assemblée, vient de mener une mission discrète à Kaboul pour étudier le dispositif français. Elle sera suivie d'un débat au Sénat avant la fin de l'année.
(1) Auteur, avec Arnaud de la Grange, des Guerres bâtardes. Comment l'Occident perd les batailles du XXIe siècle. Perrin, 2008.

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