François Hollande, candidat, avait cependant marqué très vite et sans hésitation apparente sa volonté de renégocier ce traité castrateur : l’espoir renaissait, on allait voir ce que l’on allait voir ! On a vu. Mme Merkel accepta du bout des lèvres quelques dispositions en faveur de la croissance, mais de renégociation, point. Puis elle partit à Bayreuth écouter Wagner. On espérait d’identiques atermoiements chez nos dirigeants puisque, chacun le sait, l’élection présidentielle américaine tend à mettre l’avenir en suspens. Mais non, François Hollande saisit sans trop attendre le Conseil constitutionnel… et les membres de cette assemblée viennent de décider, sans barguigner semble-t-il, de jouer les Ponce Pilate. Leur décision constate juste que le traité sur lequel ils sont consultés «ne comportant aucune clause contraire à la Constitution», ils ne jugent pas nécessaire de modifier celle-ci préalablement au vote, par le Parlement, d’une loi en autorisant la ratification.
Or, il s’agit bien d’un traité contraire à la Constitution puisque, en l’état des textes en vigueur, celle-ci ne permet la participation de la République à l’Union européenne qu’«en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007». Si tel était le cas, un nouveau traité n’aurait évidemment pas été nécessaire. Or il l’est, et d’abord pour le repos du gouvernement allemand, en raison des obstacles quasi insurmontables posés par la combinaison des multiples impératifs financiers ou économiques encadrant les gouvernements des pays concernés.
Il ne s’agit pas seulement de questions de forme ou de commodités de procédure, mais d’un réseau de contraintes directes et indirectes dépossédant les parlements nationaux (si l’on ose encore les nommer ainsi) des compétences budgétaires et financières qui constituent le centre de leurs attributions. La finalité non dite étant de limiter étroitement la charge éventuelle d’un soutien minimal dû aux Etats les plus faibles par les plus prospères. Le cœur du traité atteint bien plus profondément la souveraineté du peuple français et le fonctionnement de la République que l’adoption d’une simple règle d’or. Non seulement il détermine pour les Etats membres des exigences rigoureuses d’équilibre budgétaire dans les conditions fixées par la Commission européenne, mais il en enserre l’application dans des mécanismes de correction automatiques fixés par la Commission. Pire, il organise un contrôle étroit des parties contractantes par la Cour de justice européenne, laquelle peut être saisie soit par une action spontanée de la Commission, soit par une saisine de celle-ci à la requête d’une ou plusieurs parties contractantes, soit même par une saisine directe de l’une d’entre elles.
Ce n’est plus une incitation à la vertu, c’est une ceinture de chasteté faite de contraintes rigides et aliénantes qui n’existent sans doute dans aucun Etat fédéral. Elles sont proprement inacceptables. Les citoyens le savent, ils le sentent, ils ne veulent pas des contraintes dont ils ne perçoivent aucunement la finalité, mais ils constatent en même temps que, lors des choix déterminant leur destin, toute expression de «leur» souveraineté leur est interdite.
Le référendum de 2005 a marqué un tournant dans l’exigence d’une expression populaire directe dont la frustration ultérieure sera de plus en plus profondément ressentie. Jacques Chirac, qui respectait le peuple, s’était engagé à lui soumettre par référendum la ratification du traité de Lisbonne portant «Constitution pour l’Europe». Il tint parole et ce traité calamiteux fut repoussé par 55% des électeurs… alors que la révision avait été approuvée par 92% des députés ! La méfiance qu’inspirent au peuple les politiciens et les incertitudes d’élus caporalisés proviennent aussi de cette humiliante claque. N’évoquons pas, par charité, le détestable «manquement aux obligations de sa charge» commis par Nicolas Sarkozy qui osa faire voter à nouveau, en 2007, les élus du peuple souverain à l’encontre de la décision prise par celui-ci deux ans plus tôt. Ni le déshonneur des élus qui, oubliant leurs anciens engagements, se sont soumis à cette injonction. Les élus ne sont jamais que des mandataires. «La souveraineté appartient au peuple et nul ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.» Tel n’est pas le cas des partis. Lorsque les citoyens élisent leurs députés, ils ne votent pas pour un ou des «partis», ils votent pour un homme chargé de participer à la construction de la communauté nationale en fonction de leurs vœux, d’en porter l’expression et non de l’étouffer. Se rendent-ils compte, ces élus, lorsqu’ils privilégient une sacro-sainte unité des partis - d’ailleurs fictive - à l’expression des convictions de leurs mandants, qu’ils marquent une sujétion et amputent le rapport politique entre le pouvoir et le peuple qui fonde la démocratie ?
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