Le Premier ministre grec George Papandréou a décidé lundi soir de soumettre l'accord européen sur le plan de sauvetage de la zone euro à l'approbation de ses citoyens. Ce plan, adopté dans la douleur par les 17 membres de la zone euro le 26 octobre, prévoit l'effacement d'une partie de la dette d'Athènes, en contrepartie d'une austérité toujours plus vigoureuse et d'une tutelle renforcée des bailleurs de fonds du pays (UE, BCE et FMI), la fameuse "troïka". Ce référendum, qui devrait se tenir en janvier selon la presse grecque, sera le premier depuis l'abolition de la dictature des colonels en 1974.
La nouvelle a sonné comme un coup de tonnerre dans l'orage de la crise européenne. Les marchés ont très mal réagi, les bourses européennes chutant de 5 à 10% mardi. Les dirigeants de la zone euro, eux, sont désappointés. Nicolas Sarkozy organise ce mardi, à 17 heures à l'Elysée, une réunion avec le Premier ministre François Fillon, le ministre de l'Economie François Baroin, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, la ministre du Budget Valérie Pécresse, le ministre des Affaires européennes Jean Leonetti et le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer. Entre temps, le président français s'entretiendra par téléphone avec la chancelière allemande Angela Merkel. Une réunion entre Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, l'UE et le FMI est également prévue demain mercredi à Cannes, où doit se tenir le sommet du G20.
Pourquoi Papandréou a-t-il convoqué ce référendum?Les Grecs "veulent-ils l'adoption du nouvel accord ou le rejettent-ils ? Si les Grecs n'en veulent pas, il ne sera pas adopté", a déclaré lundi soir le Premier ministre devant le groupe parlementaire du parti socialiste (Pasok). "La volonté du peuple grec s'imposera à nous", a-t-il ajouté. Ce qui est sûr, c'est que l'annonce de ce référendum est une véritable surprise. Les députés de la majorité, y compris le ministre des Finances Evangélos Venizélos, n'étaient pas au courant. Deux députées socialistes grecques ont d'ores et déjà contesté la décision de Georges Papandréou, l'une annonçant sa défection, l'autre réclamant un cabinet "de salut national". L'opposition de droite, elle, dénonce une manoeuvre politique pour " gagner du temps ", tandis que le Parti communiste crie au "chantage". De fait, tous les analystes jugent que Georges Papandréou a choisi la fuite en avant. Selon médias et politologues, le Premier ministre a abattu la carte du référendum au risque de déstabiliser la zone euro pour éviter la tenue d'élections législatives anticipées, à l'issue très incertaine au vu de la décomposition politique en Grèce... et très risquée pour les socialistes.
Sur quoi portera-t-il?Les Grecs devront dire s'ils approuvent, ou non, le plan d'aide conclu la semaine dernière par la zone euro. La principale mesure de ce plan est un effacement de 50% de la dette publique grecque détenue par des acteurs privés (banques, fonds d'investissement et assureurs...).Soit un coup d'éponge de quelque 100 milliards d'euros sur un total de 200. Une mesure à laquelle devraient participer 90% des banques, d'après l'Institut de la finance internationale (IIF), le lobby mondial des banques. Ce plan permet de rendre soutenable l'objectif de ramener le taux d'endettement du pays à 120% de son PIB en 2020. D'ici là, la Grèce aura évidemment du mal à faire appel aux marchés pour se financer. L'accord prévoit donc de lui donner accès à 100 milliards d'euros de prêts publics supplémentaires.
En quoi cet accord est-il controversé?De l'avis de nombreux analyste, seul un effacement d'au moins la moitié de la dette grecque pourrait permettre au pays de s'en sortir. C'est justement ce que prévoit l'accord. "Une nouvelle époque, une nouvelle ère s'ouvre pour la Grèce", avait d'ailleurs déclaré George Papandréou à l'issue du sommet jeudi. La dette publique du pays devient "viable", avait estimé de son côté le ministre des Finances Evangélos Vénizélos. Le problème, ce sont les contreparties. La Grèce doit désormais passer sous les fourches caudines de ses bailleurs de fonds. L'accord du dernier sommet prévoit dorénavant non plus seulement des inspections trimestrielles de la troïka, mais un contrôle peu ou prou permanent. En parallèle, une "task force" de la Commission travaille sur place pour optimiser l'utilisation par le pays des fonds de l'UE.
Les Grecs vont-ils dire oui... ou non?En proposant de soumettre au vote populaire le plan européen, George Papandréou fait un pari dangereux. Les Grecs, une fois bien informés, approuveront ce plan, affirme-t-il. Rien n'est moins sûr. Vendredi dernier, à l'occasion des défilés de la fête nationale grecque, des manifestations se sont déroulées pour protester contre les conséquences de l'accord européen, aux cris de "traîtres ". Les Grecs craignent en effet que cet accord n'entraîne une perte totale de souveraineté. Un sondage paru le week-end dernier montre qu'une majorité de Grecs jugent les décisions du sommet européen négatives, 12,6% seulement les jugeant positives.
Que se passera-t-il si le non l'emporte?
C'est l'avenir de la Grèce au sein de la zone euro qui est en jeu. L'économiste chypriote Christopher Pissarides, lauréat du prix Nobel, n'est pas optimiste. "En cas de victoire du non, la Grèce ferait défaut immédiatement. Je ne la vois pas rester dans l'euro", prédit-il. "Le risque est que la communauté internationale coupe l'arrivée d'argent et que le pays finisse par quitter l'euro", estime Christoph Weil, analyste de Commerzbank. Les conséquences négatives de cette sortie pour la Grèce seraient immenses. Certes, sortir de la zone euro permettrait à la Grèce de dévaluer sa monnaie et de redevenir compétitive. Mais "il faudrait au moins une dévaluation de 50% pour espérer redresser le solde extérieur grec, au prix d'un choc économique terrible pour les grecs: flambée des prix des produits importés et effondrement du pouvoir d'achat, explique Emmanuel Lechypre, rédacteur en chef à L'Expansion. D'autant que la Grèce produit peu de produits industriels. En outre, cela ferait exploser le prix de la dette grecque en euros."
Quelles conséquences pour la zone euro?Une sortie de la Grèce de la zone euro représente un saut dans l'inconnu. Cela signifierait que l'Euroland n'est pas une zone économique solidaire. L'agence de notation Fitch a averti qu'un "non" des électeurs grecs menacerait la viabilité de toute la zone euro. L'effet contagion aux autres maillons faibles de la zone euro est déjà une réalité: les taux italiens à dix ans, déjà sous pression du fait de la difficile situation financière de Rome, s'inscrivaient nettement au-dessus de 6% mardi. L'écart de taux qui mesure la prime de risque entre les taux italiens et allemands a atteint 437 points de base soit son plus haut niveau jamais atteint depuis la création de la zone euro. Celui de l'Espagne a également grimpé mardi à environ 370 points de base. Pour éviter cet effet de contagion, la Banque centrale européenne (BCE) a acheté mardi de la dette italienne et espagnole. "Il semble qu'il y ait beaucoup de désinvestissement de fonds japonais et la banque européenne achète de la dette italienne et espagnole de façon préventive", a expliqué à l'AFP Miguel Ángel Rodríguez, analyste associé chez XTB (broker online). La France, mise sous surveillance par Moody's, n'est pas épargnée. L'écart entre le taux des obligations à 10 ans de l'Allemagne et la France a atteint un nouveau record depuis la création de la zone euro: le rendement français se situait 121,7 points de base, soit 1,2%, au-dessus de l'allemand. In fine, c'est toute la zone euro qui pourrait exploser.
Et si le oui l'emporte?Il est toujours possible que les Grecs votent oui à l'accord européen du 26 octobre. Ou qu'ils s'abstiennent d'aller voter. En cas d'abstention supérieure à 60%, le référendum ne serait pas valable, soulignent les constitutionnalistes grecs. Cette disposition pourrait alors offrir une porte de sortie au dilemme posé par George Papandréou aux Grecs. Mais le mal est fait. Au vu des réactions en France et en Allemagne - Nicolas Sarkozy serait consterné, Angela Merkel est indignée -, cette décision unilatérale de George Papandréou va laisser des traces. Pour le politologue grec Ilias Nikolapopoulos, le coup de poker du Premier ministre est une décision potentiellement "suicidaire pour le pays", qui compromet les délicates négociations entamées après l'accord de Bruxelles avec les détenteurs privés de dette grecque. Même si les Grecs disent oui à l'accord, pas sûr donc que l'Allemagne et la France veuillent continuer à financer la dette de la Grèce. La zone euro vient d'entrer dans une nouvelle zone de turbulences, dont on ne voit pas aujourd'hui l'issue.
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