TOUT EST DIT

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mardi 8 février 2011

Conflits d'intérêts :
le temps de la tolérance zéro

Huit mois à peine séparent ces deux aveux. « Je n'ai pas pensé à mal, je ne le referai plus », s'est défendue ces derniers jours, avec une sorte de candeur, Michèle Alliot-Marie. « Je reconnais que j'avais sous-estimé ce conflit d'intérêts », avait soupiré Florence Woerth au moment de la révélation de son embauche comme gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, alors que son mari, Eric Woerth, était ministre du Budget et trésorier de l'UMP. Même si les mots « conflit d'intérêts » n'ont pas été lâchés dans le cas de Michèle Alliot-Marie, la question ne peut être éludée quand un ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, en vacances en Tunisie avec son compagnon, lui aussi ministre, monte à bord d'un avion privé appartenant à un homme d'affaires réputé proche du gouvernement Ben Ali, alors que le régime commençait à être contesté par la rue. Cela peut s'avérer politiquement ravageur quand, selon les enquêtes d'opinion, les Français ont atteint le degré zéro de tolérance face à ce qu'ils interprètent comme de petites compromissions entre amis.

Historiquement, il existe chez les hommes politiques une forme de déni face au conflit d'intérêts : à leurs yeux, celui-ci ne saurait exister car la fonction d'Etat est celle de l'intérêt général. Certes. Mais, « à partir du début des années 1990, à la place du clivage gauche-droite s'est installé chez les Français le sentiment d'une dissonance de plus en plus forte entre le peuple et les élites. D'un côté, la masse des citoyens pouvant basculer du jour au lendemain dans l'exclusion ; de l'autre, des hommes politiques qui, loin de défendre l'intérêt général, défendraient leur intérêt particulier », explique le politologue Stéphane Rozès, enseignant à Sciences po et HEC. A force de nier le malaise, celui-ci s'est enkysté dans la société française et s'est infecté avec la crise économique. Selon le dernier baromètre sur « la confiance en politique » réalisé par OpinionWay pour le Centre de recherche politiques de Sciences po (Cevipof) et l'Institut Pierre-Mendès-France, publié au début du mois de février, 56 % des Français ne font plus confiance aujourd'hui ni en la droite ni en la gauche pour gouverner.

Nicolas Sarkozy avait analysé cette crise du politique en promettant lors de la campagne présidentielle « une République irréprochable ». « Je veux changer la République : plus de simplicité, plus de proximité », avait-il écrit. Or, « dès l'épisode du Fouquet's et sa présence sur le yacht de Bolloré, Nicolas Sarkozy a mis un premier coup de canif à la symbolique présidentielle de l'intérêt général », note Stéphane Rozes. « Dans chaque enquête qualitative sur le bilan de Nicolas Sarkozy, le hiatus entre la promesse d'une République irréprochable et la pratique du pouvoir sous son quinquennat arrivent juste après l'emploi et le pouvoir d'achat dans les promesses non tenues », renchérit Frédéric Dabi, directeur du département opinion de l'Ifop. Le sondeur rappelle que l'affaire MAM vient s'ajouter à une liste qui n'a cessé de s'alourdir depuis le début du quinquennat : affaire de l'Epad, celle des cigares de Christian Blanc payés 12.000 euros sur les comptes de son ministère, celle encore du permis de construire de la villa d'Alain Joyandet, l'affaire des logements de Fadela Amara et de Christian Estrosi... A force d'affaires, pour le sondeur, « l'opinion publique a eu l'impression d'un effacement des limites entre la politique menée sous Nicolas Sarkozy et le monde de l'argent ».

Aujourd'hui, l'épisode tunisien de Michèle Alliot-Marie, passée de l'Intérieur à la Justice et aux Affaires étrangères, atteint le dernier bastion de confiance : à travers elle, c'est l'image même du ministre régalien qui est écornée. Et, au final, c'est Nicolas Sarkozy lui-même qui risque d'en pâtir : « Depuis le début du quinquennat, les Français avaient certes une mauvaise image de la politique économique et sociale de Nicolas Sarkozy, plombée par le bouclier fiscal, mais ils faisaient encore confiance au chef de l'Etat pour l'ensemble des domaines régaliens : sécurité, politique étrangère... La polémique sur le voyage de Mme Alliot-Marie l'atteint de plein fouet », remarque Gaël Sliman, le directeur adjoint de BVA. Commandé par le président de la République en pleine affaire Woerth-Bettencourt, le rapport « Pour une nouvelle déontologie de la vie publique », rédigé sous l'autorité de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, pointe clairement le danger : remis à Nicolas Sarkozy le 26 janvier dernier, il préconise une très grande fermeté dans la prévention et la sanction des conflits d'intérêts pour « garantir non seulement l'Etat de droit, mais plus généralement les valeurs constitutives du vivre ensemble ». Nicolas Sarkozy a annoncé une loi avant la fin de l'année. Exercice périlleux : contrairement aux habitudes, il ne pourra s'agir, comme l'ont laissé entendre certains membres de la majorité, de « faire son marché » dans un ensemble de propositions. Le rapport en question forme en effet un tout cohérent, traitant à la fois de la prévention et de la sanction. En appelant à punir tout acteur public qui se placerait dans une situation compromettant « son indépendance, son impartialité ou son objectivité », les rapporteurs définissent, pour la première fois, le conflit d'intérêts comme « une interférence entre une mission de service public et l'intérêt privé d'une personne qui concourt à l'exercice de cette mission ». A l'aune de cette règle qui peut être comprise par tous, Eric Woerth, par exemple, n'aurait jamais pu être à la fois ministre du Budget et trésorier de l'UMP. En donnant des règles simples et claires de transparence et d'incompatibilité, le rapport offre enfin l'occasion de sortir de l'ère du déni et du soupçon pour entrer dans celle de la rigueur et du droit. Le même pour tous. Soucieux de se « présidentialiser » dans la perspective de 2012, Nicolas Sarkozy devrait aller jusqu'au bout de ces propositions et en tirer toutes les conséquences.

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